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était très avancée. Si j’avais eu le bonheur (je ne sais si je puis employer cette expression) de rester seul pour exercer le commandement de la place, nous nous serions défendus très bien[1]. »

Bazaine a reconnu, comme il avait fait à l’égard des approvisionnemens, que l’état des fortifications de Metz n’avait pas influé sur ses résolutions. Le Duc d’Aumale lui dit : « Ainsi, la raison qui vous décidait à maintenir l’armée sous Metz n’était donc pas l’anxiété que témoignait le général Coffinières pour l’état de la place, ni les renseignemens que le général Soleille vous donnait sur l’état des services de l’artillerie ? Ce seraient plutôt des considérations qui se rattachent à la grande politique de la guerre, à l’importance stratégique de Metz et au rôle que pouvait jouer l’armée en restant sous le canon de la place. — Bazaine : — Oui, monsieur le président[2]. »

Les motifs de la conduite de Bazaine le 16 et le 17 août, de son propre aveu, seraient donc uniquement des considérations tirées de la grande politique de la guerre. Il aurait pu passer s’il y avait eu urgence et s’il avait été mieux instruit des événemens intérieurs. Or, s’il fut jamais un cas où l’urgence s’imposât, c’était assurément celui-ci. De la réunion rapide des deux armées à Châlons dépendait le salut de la France. Ayant devant lui un but aussi net, il en savait plus qu’il n’était nécessaire pour diriger une action résolue sans attendre des renseignemens sur ce qui se passait à l’intérieur. Sa reculade ne se justifie donc ni par la pénurie des approvisionnemens, ni par l’état de dissémination de l’armée, ni par l’insuffisance des fortifications de Metz, ni par des considérations de grande politique de la guerre. Elle s’expliquerait un peu mieux par la fatalité qu’imposaient les desseins des chefs allemands.


IV

Au matin du 16 août, la dissémination des armées allemandes était complète ; une portion de la Ire et de la IIe était encore sur la rive droite de la Moselle ; une autre, sur la rive gauche, s’avançait vers la Meuse, et une autre allait batailler sur le plateau de Vionville. L’avant-garde du IVe corps, portée

  1. Procès Bazaine. — Audience du 11 novembre.
  2. 'Ibid. — Audience du 15 octobre 1873.