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REVUE LITTÉRAIRE

LE ROMAN DES INSTITUTRICES[1]

Je me souviens d’une vieille demoiselle. C’était une de ces personnes, comme il n’y en a plus guère, qui avaient l’air de résumer de longs siècles de vie ancienne et qui ainsi éternisaient la durée. Quand toutes seront mortes, il me semble que le temps courra encore plus follement vite, éparpillant nos années de même que gaspille les minutes une horloge qui a perdu son balancier. Cette vieille demoiselle, pour aller d’une chambre à une autre, ayant ouvert la porte, demeurait un instant immobile, un peu inclinée, et puis passait : mais elle avait laissé passer devant elle son ange gardien.

A présent, M. Marcel Prévost vient de publier Les Anges gardiens, un roman qu’il a intitulé ainsi avec une ironie assez cruelle. Ses anges gardiens, ce sont les institutrices, pour la plupart étrangères, à qui les mères aujourd’hui confient leurs filles et qui ne valent rien du tout. Quelle peinture il en a faite ! quelle peinture aussi des jeunes filles et de leurs mères ! et de leurs pères et de leurs frères ! et de tout leur entourage ! en un mot, de l’époque !...

Bref, depuis la jeunesse de la vieille demoiselle que je disais, l’on a, dans ce pays, changé d’anges gardiens : ceux d’autrefois, invisibles et vigilans, purs comme la pensée divine, on les a remplacés par des créatures ignobles.

Ignobles : telles M. Marcel Prévost nous les montre ; et, pour nous convaincre, il n’a rien épargné. Voilà un terrible roman, qui nous

  1. Ce temps-ci : les Anges gardiens, par M. Marcel Prévost ; 1 vol. in-18. (Lemerre.)