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Il faudrait adoucir le portrait de Philarète Chasles, eau-forte à la Goya ; l’auteur scalpe sans pitié le docteur, mais il manquait peut-être d’autorité morale pour faire une telle exécution. Il le déclare tout d’abord écrouelleux, rééditant une plaisanterie férocement calomniatrice de Roger de Beauvoir, et puis, « avenant, prévenant, souriant, bas et plat quand il le fallait ; la tête renversée, les joues gonflées, la face arrogante dès qu’il n’y avait rien à gagner ou à craindre, Scapin, Frontin et Turcaret, en y joignant le glouton, le spéculateur et le faux marquis ; Mercadet et Tuffîères... Il n’était pas méchant, pervers, ni sans intelligence : il était sans principes. Il était sensuel, égoïste, doué d’un flair que je n’ai vu qu’à lui... Il savait toujours ce qui occupait les hommes et les intéressait... Il devina que la littérature allait devenir industrielle... Avant Girardin, Véron avait compris que la société se défaisait, se décousait, s’en allait en charpie, et que bientôt une nouvelle révolution succéderait à 1789. La littérature se tournait en boutique, le divin en matière brute, l’art de Voltaire en gros écus... Le premier alors, Véron le docteur est devenu le courtier de commerce de cette maladie, le maquignon des plaisirs bruts se mêlant à ceux de l’esprit, le Mercure d’un matérialisme intellectuel ; le premier il usa de la pensée comme d’un agio... Ni écrivain, ni homme de génie, ni de talent, ni de salon... sale dans ses mœurs, jouant le vicomte, puis le bourgeois ; usant de finesses qui frisaient l’escroquerie, mais n’y tombant pas, ce gros Véron, retors comme un avoué ou comme trois avoués, d’ailleurs aimant les filles, les tableaux, les gens de lettres, a joué un rôle de fermier général. Il comprenait l’importance des gens de lettres, il les courtisait. Lui-même il l’était devenu un peu... » Il va de soi que cette peste de Vielcastel renchérit encore sur Chasles. Ainsi, écrivant que tous les ministres ont diné le 20 juin 1851 chez Véron, il note que celui-ci aurait dit à ses matassins (ses familiers) : « C’est une obligation pour moi de les recevoir, mais ils sont ennuyeux. » Vient ensuite un éreintement di primo cartello : a Véron, c’est le siècle présent : cynique, scrofuleux et sans vergogne, bouffi et important. Véron communique ses écrouelles à tout le monde... Il a le génie et l’audace de sa position,... ne croit à rien, pas même à lui, et c’est peut-être le secret de sa force ; il affecte la vulgarité de l’homme supérieur qui érige ses fantaisies en lois. »