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obtenir ce résultat, on pouvait s’en rapporter à M. Mourier ; autant de mortels qui se présentaient au contrôle, autant il en entassait dans sa complaisante salle, ayant pour principe que la chair humaine est élastique. »

Le premier de l’an, vers dix heures du soir, il allait de logo en loge, serrant la main à ses artistes, et leur disait en partant : « Cette année, je vous augmente de tant. » Parfois aussi, il n’augmentait pas ou même diminuait et congédiait. Et sa façon de recevoir ! II continuait d’écrire ou de lire des lettres, répondant par monosyllabes : « Oui ! Non ! Bien ! Impossible ! Revenez ! On verra ! Bonsoir ! » On n’attendait pas, mais on était expédié en deux temps quatre mouvemens : « Que voulez-vous, monsieur ? — Vous présenter une pièce... — Quel genre ? — Vaudeville. — Combien d’actes ? — Trois. — Laissez ça là. — Mais, puis-je espérer ? — Si c’est bon, oui... on vous écrira. Bonjour, monsieur. » Et il fallait, quoi qu’on en eût, tourner les talons. La pièce déplaisait-elle, il la rendait avec ces, seuls mots : « Ça Ne fait pas mon affaire. » Plaisait-elle, il disait, toujours d’un air grognon : « Ça me va ! Je reçois votre pièce. » L’auteur voulait-il savoir quand on la jouerait, Mourier le congédiait ainsi : « A son tour. On vous écrira. Bonsoir ! »

Cet homme bizarre aimait les surprises, il lui arriva de déchirer un engagement de 1 800 francs devant Guyon, qui avait débuté la veille, et de lui signer un autre traité à 2 400 ; en revanche, il refusait d’engager un comique de Bobino, et lui infligeait férocement la mission d’avertir un camarade qu’il le prendrait volontiers. Il ne voulait pas remporter de trop grands succès, afin de ne point compromettre l’avenir ; et l’on cite de lui cet axiome paradoxal : « Si un acteur faisait recette chez moi, je le flanquerais immédiatement à la porte. »

Parfois cependant Mourier trouvait son maître. Comme il voulait imposer une intonation à Heuzey, cet acteur, doué d’une force herculéenne, lo prit par les épaules et, le tenant suspendu au-dessus de l’orchestre des musiciens, vociféra : « Je dirai la phrase comme je voudrai, ou je vous lâche ! »

Les causeurs du foyer aux Folies-Dramatiquea : d’Ennery, les Cogniard, Théaulon, Dartois, Carmouche, Laporte, Ancelot, Desvergers, Varin, Paul de Koçk que Grégoire XVI appelait Paolo di Coco, Bîum, Anicet Bourgeois, Loçkroy, Grange, Lambert Thiboust, ClairviUe, Albert Monnier, Raymond Deslandes,