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mais que d’ouvrages, oubliés aujourd’hui, tombés dans l’os- suaire théâtral, et qui triomphèrent bruyamment sous le règne du père Mourier : la Cocarde tricolore, la Fille de l’Air, la Fille du Feu, la Gamine de Paris, la Pompadour des Porcherons, les Dévorans, la Belle Bourbonnaise, la Bouquetière des Champs-Elysées, etc. !

Parmi ses élèves les meilleurs, il faut citer Barré, Christian, Boisselot, Lassagne, Heuzey, Calvin, Blondelet, Nathalie, Judith, Jane Essler, Pauline Jarry, qui épousa Guyon. Il y a aussi celle que Banville nomma Séraphine, dans une chronique étincelante de verve fantaisiste : « Monsieur, me disait M. Mourier, il m’est impossible de les garder ici plus de deux ans, et encore elles s’en vont perdues, flétries, plus gâtées qu’un fruit où s’est mis le ver. Tout cela est la faute de mon premier rôle, Séraphine, une créature auprès de laquelle la Bête écarlate est une colombe, et qui trouverait le moyen de souiller la neige de l’Himalaya et les étoiles. Elle aurait étonné Tibère à Caprée et fait baisser les yeux au marquis de Sade... Au bout de deux ans, régulièrement, elle a inculqué aux femmes de ma troupe des idées si perverses, que je suis forcé de les prendre toutes en bloc et de les fourrer à la porte. — A la bonne heure, fis-je. Mais elle, Séraphine ? — Ah ! dit M. Mourier, celle-là je la garde, parce qu’elle a du talent. »

Les principes, habitudes, moyens, erremens de Mourier pouvaient paraître bizarres ; il n’en démordait guère, et s’en trouva bien. D’abord ne jamais payer un acteur plus de quatre mille francs par an, verser pour les droits d’auteurs une somme fixe, quelle que fût la recette de la soirée : trois actes trente francs, deux actes vingt-quatre francs, un acte douze francs cinquante ; mais, quand une pièce avait réussi, il ajoutait une prime. Pas de ces grands comédiens qui en jouant semblent nous faire une grâce, mais des acteurs jeunes, ardens, épris de leur art ; pas de beaux décors faisant illusion, pas de salle blanche, pourprée et éclatante d’or ; pas de réclames ou le moins possible d’articles dans la presse ; ne pas garder longtemps une pièce sur l’affiche, l’arrêter même en plein succès, tenir son public perpétuellement en haleine, ignorer les nécessités d’espace et d’air respirable, de telle sorte que certains soirs les spectateurs se trouvaient empilés comme des harengs dans leur tonneau, les têtes serrées et pressées comme les épis d’un champ. « Pour