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— Si j’accepte ! Mais, monsieur, comment vous dire, vous exprimer ?... — C’est bon. L’engagement est prêt ; le voilà ! lisez et signez. » Éperdu de joie, Bernard-Léon fait semblant de parcourir la feuille et signe, « Avez-vous bien examiné ? reprend Poirson. Non. Eh bien ! vos 6 000 francs et vos feux courent à partir d’aujourd’hui. Pas de remerciemens... Exact, consciencieux, ayant du talent, vous méritiez des émolumens meilleurs. Vous les avez. Adieu. » Là-dessus Poirson se lève, serre la main de son pensionnaire et le pousse dehors. Il laissa 200 000 livres de rentes, et lui-même imprima dans un journal qu’il vivait isolé, sans un ami. On est heureux de constater parfois que l’argent ne procure pas tout.

Quant à Guilbert Pixerécourt, surnommé le Corneille du boulevard du Crime, il gagna, paraît-il, 30 000 livres de rente avec ses mélodrames, et fit aussi de bonnes affaires comme directeur de la Gaîté pendant douze ans. En cette qualité, il avait deux visages, affirme Rochefort. « Quand il venait le matin à ses répétitions, c’était un tigre de sévérité ; ses acteurs tremblaient comme les noirs devant le fouet du commandeur ; il ne pardonnait pas la plus légère négligence... et, quand un acteur s’était distingué dans un rôle, il n’était pas homme à lui en faire son compliment, mais il lui reprochait toujours de n’avoir pas été assez bon, assez complet. Ce système avait pour but d’empêcher le comédien de demander de l’augmentation ; il est encore en usage aujourd’hui. En dehors de ses fonctions directoriales, Pixerécourt, dans le monde comme avec ses amis, était aimable, poli et très cordial. Il était fort instruit ; sa bibliothèque contenait les ouvrages les plus rares : le ministre Corbière, bibliophile passionné, voulut lui en acheter quelques-uns ; il les lui offrit gracieusement. Cette attention délicate valut plus tard à Pixerécourt la direction de l’Opéra-Comique. « Quelqu’un lui faisant remarquer le style pitoyable de ses mélodrames, il répondit : « Vous avez raison, mais il y a une langue que le peuple ne comprend pas ; songez que je n’écris que pour les gens qui ne savent pas lire. »

Voici Hostein, qui dirigea l’Historique, la Gaîté, le Cirque Impérial, le Châtelet, la Renaissance, homme du monde, plein d’esprit, aussi habile que Mercadet quand il s’agissait d’apaiser un créancier, excellent professeur de déclamation, réputé pour son art de la mise en scène, vivant en grand seigneur, ce qui,