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sont farceurs, remarquait-il, mais tous les farceurs ne sont pas peintres. »

Si j’en crois Hostein qui écrivait vers 1878, les directeurs des troupes nomades font de bonnes affaires ; moins d’aléa que dans les théâtres sédentaires, loyer nul ou presque nul ; puis ces troupes ne vont que là où il y a la foule, tandis que les sédentaires sont obligés de l’appeler. Elles donnent parfois quinze représentations par jour, leurs principaux acteurs reçoivent 200, 300, jusqu’à 350 francs par mois ; le directeur fournit les costumes, le blanc, le rouge, jusqu’aux cheveux de ces dames ; il a ses auteurs particuliers. Voici le revers de la médaille : travailler un mois pour rien (du moins il en était ainsi avant 1878), l’interdiction dans les grandes baraques de se montrer costumé chez le marchand de vins, très gênante, paraît-il, pour l’artiste qui n’a guère le temps de se vêtir en bourgeois. Il y a des directeurs plus ou moins tolérans, plus ou moins généreux : dans le camp des moins figure cette directrice qui, chargée de nourrir sou personnel, servait régulièrement la soupe aux choux sans le moindre atome de lard. Sur la plainte des artistes, elle les convoque, et sous leurs yeux dépose un énorme morceau de lard dans la marmite : oui, mais celle-ci servait aux tours de physique, elle avait un double fond qui recevait le lard destiné aux seuls directeurs.

Got fait une tournée en province, et n’y va pas de main morte sur le dos des directeurs qu’il rencontre : « C’est une telle race, les directeurs de province ! Et de si pitoyables carottiers !... D... pour me voler quinze francs, a ce soir déchire sans vergogne un acquit de facture, et a dû convenir du fait. »

Ce pauvre Daiglemont qui dirigea des petits théâtres à Paris et en province, afin de pouvoir se distribuer les beaux rôles qu’on s’entêtait à lui refuser ailleurs, se croyait le remplaçant de Talma et Lafont, bien qu’il louchât et bredouillât horriblement ; ni les sifflets, ni les ricanemens du public ne purent le détromper. Pour récompenser son régisseur, un pince-sans-rire qui le comparait à ses émules, il lui offrit de donner une représentation à son bénéfice ; et celui-ci accepta, à condition qu’il monterait le spectacle comme il l’entendrait, et ferait son affiche lui-même. Or sur l’affiche, on lisait en gros caractères : Avis important. M. Daiglemont a enfin consenti à ne pas jouer dans