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vous répondrez, si vous n’avez pas peur de pâlir, malgré votre couleur, devant un homme véritable, c’est-à-dire blanc. » Cochinat répondit du tac au tac : « Mon cher directeur, le mot lance prend un a quand il n’y en a qu’une. Il prend un e quand il y en a six. Sur ce, vous seriez bien aimable de m’envoyer une loge pour voir votre féerie : Turlututu chapeau pointu ! Sinon, je publie votre lettre, et dame, alors, gare à vousl Ma main noire serre votre blanche patte. » Billion comprit qu’il n’aurait pas le dernier mot et envoya la loge.

Mme Saqui reçoit ses premières leçons d’un ancien étudiant devenu danseur de corde. Napoléon l’apprécie, lui confère le titre de première danseuse de France, l’appelle son enragée ; elle fait l’admiration des alliés en 1814, et obtient l’autorisation d’ouvrir boulevard du Temple un théâtre, à condition de n’offrir au public que des danses de corde et des pantomimes-arlequinades.

Jusqu’en 1824, le spectacle acrobate passe par des alternatives de prospérité et d’insuccès, puis sa directrice connaît toutes les ivresses du triomphe pendant six ans. Après la Révolution de 1830, elle veut avoir aussi ses trois glorieuses, s’insurge contre les statuts de son privilège, imagine de se rendre au faubourg Saint-Antoine à la sortie des ateliers, et d’inviter en masse les ouvriers : « Je vous offre une représentation gratuite ! — Vive madame Saqui ! » Le lendemain, les ouvriers envahissaient le boulevard du Temple, le gouvernement capitula et Mme Saqui put représenter des vaudevilles, des mélodrames, des petites pièces poissardes.

Franconi, ses fils, leurs successeurs ont, pendant un demi-siècle et plus, attiré le public amoureux de spectacles équestres, pantomimes, mimodrames historiques et féeries somptueuses. Leur théâtre donna aussi de véritables pièces sous la Restauration ; Frederick Lemaître fut engagé au Cirque-Olympique, ainsi que Bouffé. Et combien d’autres collaborateurs ! Le cerf Coco qui offrait des fleurs aux dames, sautait dans des cercles de feu par-dessus les chasseurs tirant des coups de fusil ; l’éléphant Baba débouchant une bouteille de Champagne, jouant aux boules et prenant un mouchoir dans la poche de son cornac ; l’éléphant Kiouny, plus célèbre encore, si célèbre que Mlle Mars battait en retraite, se déclarant incapable de lui disputer la faveur du public. Elle était à Dijon pour jouer le rôle de Suzanne dans le Mariage de Figaro. Mais voilà qu’elle apprend