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essaie en vain de trouver un autre dénouement, le directeur convoque son chef d’accessoires, le régisseur, le machiniste, ceux-ci proposent un lézard, une peau de singe, un ours, un âne. « Mais, rugit l’auteur, un lézard n’a pas de cornes. Puisque Pierrot met sur la tête du capitaine, qui se marie, un bois de cerf, ce n’est pas un lézard que nous pouvons dépouiller d’un bois de cerf... — Il y a longtemps qu’on ne s’est servi de l’âne, insinue quelqu’un. — Oui, oui, s’écrie le directeur enthousiasmé, je vous donne l’âne ! »

C’est Billion qui répondait à son chef machiniste, comme celui-ci demandait s’il fallait mettre un if à la porte du théâtre pour la fête de l’Empereur : « Mettez un nif, deux nifs, trois nifs s’il le faut ; mais que ce soit conséquent : l’Empereur en vaut bien la peine. » Il déclarait intalentier un médiocre acteur, et le taquinait sur les lenteurs que mettait sa femme à le rendre père. « Eh bien ! et Isménie ? Rien de nouveau ? — Non ! — Que voulez-vous, elle n’est pas faite pour l’infanterie. » Billion professait une sainte horreur pour les revues de fin d’année, à cause des frais. « Les revues, prétendait-il, ça pilule (pullule) partout. » Un soir, il dit à son régisseur : « Keller, je dors debout ; aussi, je vais me glisser dans mon porte-monnaie. — Eh bien ! murmura Deburau, on ne le reverra pas de sitôt. : » Voulant se donner de l’importance, il contait à son successeur Dantrevaux : « Je viens de chez mon ami le garde des Sceaux. — Il ne vous a pas gardé assez longtemps, « riposta son interlocuteur. — Ne sachant comment garnir le fond du théâtre par un effet de décor, il consulte Anicet Bourgeois. « Si nous mettions les neuf Muses, suggère celui-ci, cela ferait bien. — Oui, vous avez raison, acquiesce Billion ; mais nous en mettrons une douzaine, parce que neuf, ça ne garnirait pas assez. »

Et sa querelle avec Victor Cochinat, mulâtre très foncé, qui le criblait de brocards ; il n’était pas le seul. Voulant frapper un grand coup, Billion lui écrit : « Votre encre, aussi noire que votre peau, ne m’atteint pas de ses éclaboussures. Je me moque de vous et de vos facécies que je trouve très bêtes. Je puis être illettré, mais je ne suis pas un lâche, et je vous défends d’écrire mon nom dans votre sale petit journal. Ou sinon, je vous provoque en duel à n’importe quelle arme : épée, sabre, pistolet, et même à la lence. Je vous invite aussi à garder le silance sur cette provocation, que je désire ne pas ébruiter, et à laquelle