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trois actes. La philanthropie de Corrse aurait pu, ce semble, s’exercer aussi en faveur de ses fournisseurs dramatiques.

Loin de moi la prétention de signaler tous les directeurs de théâtres au XIXe siècle ; je voudrais seulement faire défiler ici quelques personnages représentatifs, dans leurs attitudes originales ou professionnelles.

Et d’abord, les petits théâtres. Voici les Funambules (1816-1862), le spectacle à quatre et six sous, adoré de son public fort en gueule, batailleur, mais vibrant, illustré par Deburau, mis à la mode pour les gens du monde (ceux-là payaient plus cher) par Jules Janin, qui voulait faire pièce à la Comédie-Française. Or, voulez-vous savoir comment son premier directeur Bertrand découvrit sa vocation ? Ancien marchand de beurre, devenu voiturier, Bertrand conduisait les Parisiens à Vincennes dans ses deux coucous. Un jour que Mme Saqui, célèbre danseuse de corde, et son mari, directeur du théâtre des Acrobates, allaient à la fête du Donjon, une discussion s’élève ; Mme Saqui traite Bertrand de fabricant de rosses, de marchand de beurre en gras de veau ; Bertrand jure de se venger de la sauteuse, déniche un associé, obtient l’autorisation d’ouvrir, boulevard du Temple, un théâtre sous le nom de Funambules, engage la tribu Deburau, cinq membres, à raison de 115 francs par semaine ; de la sorte il ferait une redoutable concurrence aux Saqui, ses voisins.

Le talent de Baptiste Deburau, qu’on avait engagé par-dessus le marché, ayant brusquement pris son essor, tous les soirs, Bertrand faisait salle comble ; les Saqui durent s’humilier, le directeur des Funambules, plein de magnanimité, leur pardonna et les accepta même quelques mois comme associés.

Oui, le Pactole coulait dans ses caisses, il donnait deux ou trois représentations chaque soir ; et cependant les ordonnances royales faisaient alors de dures et capricieuses conditions aux entrepreneurs des petits spectacles. On ne permettait aux Funambules que la pantomime sautante. Le théâtre Comte et les Délassemens-Comiques ne pouvaient représenter leurs scènes dialoguées et leurs tableaux animés que derrière un rideau de gaze ; le Panorama dramatique et Bobino jouaient drames, comédies, vaudevilles, à condition de n’avoir jamais que deux acteurs parlant en scène ; d’où mille subterfuges et tours de passe-passe pour tourner les édits policiers tout en les respectant. Ainsi, dans un mélo-mimodrame intitulé la Prise du Trocadéro,