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vous voudrez ; si vous avez proclamé la liberté, c’est pour qu’on en use, et je m’en sers. — Sais-tu que nous pouvons faire mettre le feu à ta baraque dramatique ? — Je me chaufferai à l’incendie. — Que ta tête pourrait bien tenter Fouquier-Tinville ? — Qu’il la prenne : il en a fait tomber qui valaient mieux que la mienne ! En résumé, croyez-vous que le peuple, qui est votre maître à tous, laisserait brûler mon théâtre sans prendre ma défense ? J’ai plus de dix mille patriotes qui viendraient me défendre, et je puis vous faire trembler plus que moi, car je n’ai pas peur de vous. » Et il n’en fut que cela, ce qui prouve que le courage réussit quelquefois.

Barré, malgré sa position de directeur-auteur, respectait les droits de ses confrères, ce qui est plus rare encore que son attitude dans l’affaire de la Chaste Suzanne. Napoléon lui accorda une pension de quatre mille francs, et, trois fois par semaine, ce brave homme allait porter aux indigens des secours à domicile.

Corrse, qui succédait en 1800 à Audinot, fondateur et directeur de l’Ambigu-Comique, passa pour un artiste et un philanthrope. Le premier, il eut l’idée d’instituer une école de danse gratuite pour trente enfans : ceux-ci recevaient en même temps l’instruction, paraissaient au besoin dans les pièces à spectacle, et touchaient dix francs par mois. Corrse leur donnait ainsi du pain, un état et l’éducation. Acteur, il avait obtenu un prodigieux succès dans son travesti de Madame Angot. On l’acclamait à la sortie, on lui chantait :


Le Corse de Madame Angot
N’est pas le Corse de la Corse,
Car le Corse de Marengo
Est d’une bien plus dure écorce.


Corrse ramena la foule à l’Ambigu-Comique en lui offrant Madame Angot au sérail de Constantinople : il y jouait avec sa femme les premiers rôles. « C’était gai, ressemblant, bien observé, bien mis en scène, c’était de l’Aristophane en sabots, peut-être un peu trop de gros sel, mais, comme l’a dit Hoffmann, il faut du gros sel pour saler les grosses bêtes. » Peuple et gens du monde, 500 000 personnes au moins coururent à l’Ambigu, et en quinze ans la direction de Corrse lui rapporta plus d’un million : il est vrai qu’on payait alors deux cents francs une comédie en un acte, et neuf francs par représentation pour une pièce en