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chance d’acheter pour cinq cents francs à Maillot sa Madame Angot ou la Nouvelle Parvenue, qui, assure-t-on, rapporta cinq cent mille francs.

Grâce à la liberté des théâtres, inaugurée par le décret du 13 janvier 1791, le nombre des scènes et des acteurs avait effroyablement augmenté ; mais, bien que le spectacle demeurât le plaisir favori des Parisiens, le nombre des spectateurs ne progressait pas dans la même proportion, et beaucoup de théâtres n’avaient qu’une existence éphémère :


Ouvert vendredi,
Tombé samedi,
Vous serez fermé dimanche.


Cette prophétie se réalisait souvent, et le zèle révolutionnaire ne préservait pas de la faillite. Boursault-Malherbe, directeur du Théâtre Molière, se présenta, accompagné de sa troupe, à la barre de la Constituante, et prêta serment de ne jouer que des pièces patriotiques « analogues aux circonstances. » Le même Boursault, qui n’avait garde de faire son mea culpa, vint un soir dire sur la scène : « Messieurs, puisque les journalistes ne veulent absolument pas parler des pièces qu’on joue chez moi, je vous avertis que j’en ferai afficher le succès à la porte de mon théâtre. »

Barré, auteur dramatique, associé de Desfontaines et Radet, directeur du Vaudeville qu’il a fondé avec Piis, donne sur son théâtre, pendant le procès de Marie-Antoinette, la Chaste Suzanne, qui faisait sans cesse allusion à la situation de la Reine. Un des personnages était frénétiquement applaudi lorsqu’il prononçait ces mots : » Vous êtes ses juges, vous ne pouvez pas être ses accusateurs ! » Les places faisaient prime, les bravos des spectateurs étaient manifestement une protestation. Barré dénoncé, mandé devant un comité révolutionnaire, se rend à la convocation. « C’est donc toi, citoyen, tonne le président, qui fais des émeutes à la porte de ta boutique de pantins en faveur de la veuve Capet ? — Je ne fais point d’émeutes, réplique Barré, j’amuse, j’intéresse le public avec un ouvrage moral, et je trouve fort extraordinaire qu’on m’en fasse un crime. — Il n’est pas question de crime, mais le Comité exige que tu supprimes les mots qui font éclater la haine des aristocrates contre la République. — Citoyen, je ne supprimerai rien ; faites de moi ce que