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LES
DIRECTEURS DE THÉÂTRES

I

Sauf dans les scènes subventionnées, le directeur de théâtre peut, d’une manière générale, être défini : un industriel qui achète aux auteurs, le meilleur marché possible, de l’esprit, de l’agrément, du talent, et qui les revend au public le plus cher possible. Cet industriel doit être pourvu de qualités particulières : le savoir ne lui est pas indispensable, mais de savoir-faire il ne peut guère se passer. Ajoutez-y la volonté, l’art de dire non avec grâce, de dire oui sans enthousiasme tout en flattant la vanité de l’écrivain, le don spécial de pressentir le goût du spectateur, de découvrir entre mille la pièce qui amusera ce sultan naïf et blasé, la pièce dont cent représentations n’épuiseront pas la vogue.

Tout ceci semble déjà assez rare, et pourtant ne suffit pas encore. Mazarin, quand on lui recommandait un candidat pour quelque emploi majeur, interrogeait : « Est-il heureux ? » Il faut avoir la chance, ne pas rencontrer l’opposition aveugle et omnipotente de Sa Majesté le Hasard, cette opposition qui rejette dans le néant les combinaisons les mieux concertées..

En feuilletant les livres qui, de face ou de profil, s’occupent de cette sorte d’hommes, et faisant appel à mes souvenirs, j’ai pu me convaincre que là aussi les tempéramens, les esprits, les caractères varient à l’infini. Chez tel imprésario le marchand domine et chez tel autre l’artiste contre-balance à propos les qualités commerciales ; il en est qui, sous les formes les plus