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traître au peuple et au pays ; il fonctionnait dans l’intérêt d’un petit nombre de privilégiés ; les aristocrates, c’étaient les hommes d’argent, banquiers, agioteurs, monopoleurs, gros propriétaires, enfin tous ceux qu’on appelle aujourd’hui les exploitans de l’homme par l’homme. Le droit du gouvernement ne consistait que dans la force ; le vice dominant s’appelait l’égoïsme ; ce qui tenait lieu d’honneur, de probité, de vertu, c’était l’argent ; l’estime ne s’accordait qu’au riche et au puissant ; le mépris, la persécution formaient le lot du pauvre et du faible. Dans les droits d’octroi, impôt sur le sel et les boissons, il ne fallait voir que des moyens odieux d’engraisser le riche aux dépens du pauvre. Le peuple, c’était l’ensemble des citoyens travailleurs ; sa condition, c’était l’esclavage ; le sort du prolétaire n’était autre que celui du serf et du nègre. La base d’une société régulière consistait dans l’égalité. Les droits du citoyen se résumaient ainsi : existence assurée, instruction gratuite, participation au gouvernement ; les devoirs du patriote lui commandaient le dévouement à la société et la fraternité envers les citoyens. Quant à la révolution qu’il fallait faire, c’était une révolution sociale. »


Même cérémonie pour l’initiation aux Saisons, avec accompagnement de poignards, de gestes aveugles, d’expressions féroces : « tigres, cancer, gangrène, échafaud ; » et ce refrain, comme mugi dans un grondement de tonnerre artificiel : « Quels sont maintenant les aristocrates ? — L’aristocratie de naissance a été détruite en juillet 1830 ; maintenant les aristocrates sont les riches, qui constituent une aristocratie aussi dévorante que la première. »

Dans quel état une telle mise en scène devait laisser des têtes moins fragiles que celles de Quénisset ou de Brevet, on peut l’imaginer par l’espèce de délire sacré qui emportait Barbès, condamné à mort, il est vrai, et guettant dans sa cellule l’entrée du bourreau. Il remerciait Dieu de l’avoir fait « Français, républicain, aimé des bons, proscrit par les méchans. » Puis, à des bruits du dehors qui lui semblaient sinistres : « Saint-Just, s’écriait-il, Robespierre, Couthon, Babeuf, et vous aussi, mon père, ma mère qui m’avez porté dans vos entrailles, priez pour moi, voici mon jour de gloire qui vient ! » Cette invocation, ou de toutes pareilles, ne l’avions-nous pas déjà entendue ? C’est le cri de toutes les conjurations, la confession et la profession de foi des grands tyrannicides, la marque de la pensée antique sur des desseins et des actes qu’on voudrait par elle anoblir, depuis Girolamo Olgiato et Pietro Paolo Boscoli, depuis la Renaissance italienne. Mais ceux-là ne prenaient à