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la Société, défini comme on vient de le voir par le rapporteur Girod de l’Ain, était hautement proclamé ; et il était non seulement républicain, non seulement démocratique, mais nettement ouvrier et déjà socialiste : républicains et socialistes (quoique l’épithète, prise au sens moderne, avance encore un peu), bourgeois et ouvriers, dans les desseins des sectateurs des Droits de l’homme, ont ouvertement partie liée. « Citoyens, dit l’ordre du jour du 24 novembre 1833, vous avez tous applaudi aux tentatives qu’ont faites les ouvriers pour améliorer leur position et briser le joug des exploiteurs, leurs maîtres. Le Comité central a donc décidé qu’une souscription serait ouverte, dans chaque section, pour venir au secours des associations d’ouvriers poursuivies. » L’Exposé officiel des principes républicains de la Société des Droits de l’homme et du citoyen réclamait : « ... 9° L’établissement de fonctions industrielles qui contribuent à réaliser ces deux grands principes, la meilleure division du travail, la meilleure répartition des produits, qui accélèrent l’émancipation de la classe ouvrière, et fassent intervenir la puissance et l’intelligence sociale dans le développement des intérêts sociaux. » De même, le délégué de la société au banquet offert à Cabet par les ouvriers dijonnais porte un toast « à l’association en général, qui seule peut un jour faire cesser l’esprit d’égoïsme et d’individualisme qui gangrène le monde, qui résoudra les grandes questions qui divisent les travailleurs et ceux qui les exploitent, qui fera cesser la guerre interne et sans cesse menaçante entre le prolétaire et le propriétaire et qui, après avoir conquis les droits politiques, assurera les intérêts matériels et finira par unir les nations, qui ne sont divisées que par les intérêts des princes. » Et voilà un germe d’Internationale !

Mais, en outre, d’autres sociétés, à côté des Droits de l’homme, se disputaient la faveur et l’adhésion des ouvriers. C’est d’abord l’Association libre pour l’éducation du peuple, la même évidemment que le préfet de police Gisquet, au tome III de ses Mémoires, appelle « la Société pour l’instruction libre et gratuite du peuple. » La première réunion, où figurèrent plus de deux mille personnes, eut lieu le 11 février 1832, à l’église de l’abbé Châtel, faubourg Saint-Martin. « Plus de quatre mille ouvriers suivirent les cours qui consistaient surtout, selon M. Gisquet, à leur monter la tête contre leurs exploiteurs. Cabet en fut bientôt le secrétaire général, on le fêta en cette qualité au restaurant du