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en tant que bourgeoise cependant marquait encore ses distances. Raspail seul faisait exception, « allant aux ouvriers, leur donnant des conseils d’hygiène ou des leçons de science, et les mettant en garde contre les mouchards. » Entre temps, et comme pour l’accomplissement d’un rite, les prisonniers de tout âge et de toute classe se réunissaient dans la chambre d’Armand Carrel ; « ils parlaient, dit Chateaubriand, de ce qu’il y aurait à exécuter à leur arrivée au pouvoir, et de la nécessité de répandre du sang. Il s’élevait des discussions sur les grands citoyens de la Terreur ; les uns, partisans de Marat, étaient athées et matérialistes ; les autres, admirateurs de Robespierre, adoraient ce nouveau Christ... » Mais tous s’exaltaient à l’envi, si ce n’est point profaner les mots, dans une sorte de culte civique et laïcisé, où il traînait d’ailleurs des lambeaux de déisme et même des restes de l’ancienne foi.

Assez rares encore, en 1832, dans les sociétés secrètes, les ouvriers s’y affilièrent en nombre lorsqu’en 1833, les Droits de l’homme eurent hérité des Amis du peuple. Les étudians y furent les premiers inscrits, se firent les racoleurs de l’armée révolutionnaire ; homme par homme, des légions ou du moins des bataillons de faubouriens s’enrôlèrent. Comme dans les églises commençantes, chaque néophyte se croyant tenu en conscience d’amener tout de suite un prosélyte, l’action de proche en proche, à l’atelier et au sortir de l’atelier, devint de plus en plus intense. « Ainsi, un ouvrier maçon, Martin Nadaud, avait l’habitude de lire à haute voix chez le marchand de vins le Populaire de Cabet ; un étudiant en médecine, qui venait parfois dans la salle, s’approcha de lui, le félicita de la manière dont il faisait cette lecture et, finalement, lui serra la main ; le maçon, à qui jamais aucun bourgeois n’avait accordé pareil honneur, en fut très flatté. Peu après, quand l’étudiant lui proposa d’entrer dans la société des Droits de l’homme, il accepta volontiers et fut reçu avec un de ses camarades. » Il y eut du moins cela de bon que, pour ne pas se sentir trop inférieurs à des jeunes gens qui leur paraissaient « instruits et charmans, » les ouvriers admis en leur compagnie voulurent par le plus honorable effort « s’instruire » et se policer ou plutôt « se polir. » Et il y eut, d’autre part, cela de bon encore qu’au lieu de les attirer, en les humiliant, par des services matériels, par des secours ou des dons d’argent, ce fut par des attentions et des égards, par des