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tour le courage de poser cette autre question : Qu’est-ce que les prolétaires ? » L’ouvrier se rappelait mieux encore la suite : « En nous demandant aujourd’hui ce que sont les prolétaires, nous devons apprendre à notre tour à la France, par notre réponse, que cette classe, dont l’oisive bourgeoisie ne parle le plus souvent qu’avec dédain et qu’elle traite comme une humble vassale, compose aussi l’immense majorité de la nation ; qu’elle peuple les champs et les ateliers, donne son sang dans les batailles, cultive les sciences et les arts, fournit aux besoins de l’État, et entretient, charme et embellit sous mille formes diverses l’existence des classes diverses privilégiées qui l’exploitent et la méprisent. »

Bien sûr, se disait Drevet, tous les bourgeois ne sont pas mauvais. Il y en a de bons, comme il y a de bons riches, et même de bons nobles. Qui donc, justement, aime à se qualifier un riche à sentimens populaires ? N’est-ce pas un comte ou un marquis ? Voyer d’Argenson. Et il n’est pas le seul de cette espèce ; les La Fayette, les Corcelle, les Schonen, les Charles de Ludre, et Saint-Simon tout le premier : « Levez-vous, monsieur le comte ; » un descendant de Charlemagne ! C’étaient aussi « des bons, » dans la bourgeoisie, et des républicains, fils pour la plupart de républicains qui avaient connu Robespierre, et avec lui voulu l’égalité, et avec lui déclaré les Droits de l’homme, les vrais, ceux de 1793, — ces accusés du procès d’avril 1831, les Cavaignac, les Trélat, les Sambuc et leurs compagnons. Drevet avait de grand cœur applaudi à leur acquittement ; il avait volontiers prêté ses bras et ses épaules pour les ramener chez eux en triomphe, et même il avait allumé ce soir- là deux lampions au rebord de sa lucarne. Lors de « l’émeute des chiffonniers, » il avait cru, comme d’autres, à l’empoisonnement des puits du faubourg Saint-Antoine, et comme d’autres, en petit comité, il avait fait appel, « pour s’ouvrir un passage, à la torche, à la pique, à la hache ! » Il ne s’en vantait pas trop haut, parce que les éclaireurs de police se faufilent partout, Raspail, qui est un savant, le dit bien ; mais il connaissait quelqu’un qui s’était trouvé sur le parvis, et n’y était peut-être pas venu par hasard, le jour où Considère avait médité de donner le signal de l’émeute, en mettant le feu aux tours de Notre-Dame. Le 5 juin 1832, aux funérailles du général Lamarque, notre vainqueur, qui chômait depuis quelques