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de la Montagne. Maintenant, chaque réunion où le brave Drevet assistait se terminait par l’affirmation d’un programme très court et très simple, qui flattait à la fois son patriotisme et son intérêt ou son amour-propre, et dont on lui disait que c’était le fond du programme républicain ; à l’extérieur, la révision des traités de 1815 (ce qui était encore de la politique intérieure et dirigé bien plus contre la monarchie que contre la coalition) ; au dedans, le suffrage universel. Il était donc républicain, d’autant plus que les deux grandes Sociétés où vieillards et jeunes gens, vétérans et pupilles de la Révolution, apportaient les uns leurs souvenirs, les autres leurs espérances, les uns et les autres, leurs haines, leurs préjugés, leurs ambitions, ces deux Sociétés ajoutaient, celle des modérés, Aide-toi, le ciel t’aidera : « On améliorera le sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre par l’instruction primaire et par l’extension des droits municipaux et politiques ; » celle des plus purs républicains, la radicale, les Amis du peuple : « Améliorer l’état physique et moral des classes inférieures en réorganisant le crédit et en donnant aux travailleurs des droits politiques. »

Au sortir d’une de ces réunions où il avait accès, Drevet se chantait à lui-même un couplet révolutionnaire ou se répétait machinalement deux vers qu’il avait retenus d’un poème nouveau :


La grande populace et la sainte canaille
Se ruaient à l’immortalité.


Parfois, il se glissait, rue Monsigny, puis rue Taitbout, aux « prédications » saint-simoniennes. C’est ainsi qu’il avait entendu Jean Reynaud, Abel Transon, Edouard Charton, Baud, Rodrigues, Talabot et le Père suprême, Enfantin en personne, et surtout Emile Barrault qui « faisait sangloter la salle, » et ce même Laurent, l’avocat Laurent qui, après s’être appliqué à glorifier Robespierre, annonçait désormais et à l’avance célébrait le parti politique des travailleurs. « Lorsque Sieyès, averti par le malaise de la nation, s’écriait Laurent, lorsque Sieyès comprit que les anciennes relations des diverses classes de la société ne pouvaient plus subsister ; lorsqu’il posa sa fameuse question : Qu’est-ce que le Tiers-État ? le besoin de réforme ne s’était pas fait sentir avec plus de violence, et les signes des temps n’apparaissaient pas avec autant d’éclat que de nos jours. Ayons donc à notre