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pour un roi, si peu roi qu’il fût ou qu’on le fît, et non pas pour la République. Car « la meilleure des Républiques, » ce minimum de monarchie ainsi sacré par La Fayette, n’était pas, ne pouvait pas être à leurs yeux la République ; si bien que, les uns et les autres supportant mal d’avoir été trompés dans leurs espérances, les ouvriers par les bourgeois, et les bourgeois républicains par les orléanistes, quelque chose maintenant les poussait les uns vers les autres. N’avaient-ils pas appris à se connaître dans le coude-à-coude des barricades ? C’est une remarque que la lecture attentive des documens permet de faire ; ils ne s’étaient pas réciproquement « découverts, » durant les Trois Jours, sans un certain étonnement ; et jamais jusqu’alors les vertus du peuple n’avaient aussi fortement frappé la bourgeoisie, même républicaine, même jacobine, même théoriquement égalitaire. Jamais non plus le peuple n’avait senti aussi près de lui la bourgeoisie, au moins une fraction de la bourgeoisie, notable par son importance, sa situation, son instruction, toutes choses dont il peut avoir un respect un peu envieux, mais dont il a le respect. Ce qui est sûr, c’est qu’aussitôt après la révolution de Juillet, les relations s’établissent, se resserrent, la propagande s’organise ; des cours, où l’on enseigne surtout la République, s’efforcent de pénétrer, les journaux de se répandre, les sociétés de recruter dans les milieux populaires.

Au bout de quinze mois à peine, en octobre 1831, le même préfet de police M. Gisquet dresse de la sorte le bilan des sociétés dites secrètes, laissant à part la maçonnerie contre laquelle il ne manifeste nulle part une méfiance antipathique (relevons-le, à cause du formulaire et du cérémonial que les chefs emprunteront parfois aux loges). Il y a d’abord la Société des Amis du peuple, parmi lesquels le procès de janvier 1832 mettra en évidence Raspail, Thouret, Trélat, etc., dont « le désœuvrement forcé d’une portion considérable de la classe ouvrière, la cherté du pain, d’autres motifs encore, augmentèrent progressivement le nombre, » et auxquels devaient s’offrir « pour auxiliaires une certaine quantité de ces gens mal famés appartenant à la dernière classe, qui apportaient à des opinions politiques le dangereux secours de leurs bras. » Il y a, ou il y a eu, puisqu’elle s’est fondue avec les Amis du peuple, après une existence temporaire, la Société de la Liberté, de l’Ordre et du Progrès, dirigée