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que la stabilité de l’état de choses qui nous régit peut favoriser des chances de succès et assurer la juste récompense due à leurs travaux ; mais ils n’ont pas, comme les classes aisées de la bourgeoisie, la crainte de compromettre, par une plus large extension des principes libéraux, une fortune toute faite, une position heureuse ; ils pensent, au contraire, que plus ils auront de chances de concourir à la discussion des intérêts publics, et plus ils verront s’effacer la ligne de démarcation entre eux et la classe moyenne.

De même que le tiers-état a profité de la suppression des privilèges de la noblesse lorsqu’il fut enfin admis à participer, concurremment avec elle, à l’administration des affaires du pays, de même la classe ouvrière profiterait aujourd’hui de tout ce que la bourgeoisie perdrait à son tour, si l’on faisait descendre aux droits politiques quelques degrés de l’échelle sociale.

Ces observations nous disent assez pourquoi, sans être positivement hostiles au gouvernement et à la bourgeoisie, les ouvriers désirent un changement qui mettrait en pratique les théories d’une liberté illimitée, qui soumettrait le personnel et les actes du pouvoir aux caprices de la souveraineté populaire.


Négligeons, comme les vieux juristes dédaignèrent les mendians, ne voulant pas en faire un ordre de l’Etat, la cinquième classe, les « gens sans profession, repris de justice, voleurs, vagabonds, aventuriers, hommes tarés, perdus de dettes et de réputation, habitués de tabagie, de mauvais lieux, mauvais sujets de toute espèce, » fraction minime de la population, mais « où gît la force brutale qui menace de tout bouleverser, » lie sociale qui exploite le vice sous toutes ses formes ; tourbe impure qui, une fois mise en mouvement par les passions politiques, « se grossit vite des hommes à imagination désordonnée, éprouvant le besoin d’émotions fortes » et les trouvant « dans les drames de la rue, dans les commotions populaires ; » élémens permanens de révolution, contre tous les pouvoirs et sous tous les régimes.

La vérité est, pour ne tenir compte que de la portion saine du peuple, de la véritable classe ouvrière, qu’elle éprouva, au lendemain des journées de Juillet, une vive déception. Elle croyait avoir vaincu pour elle-même, et voici qu’elle avait combattu pour d’autres. Pareillement, les bourgeois, à sentimens ou plutôt à idées démocratiques, qui peuplaient les loges et les sociétés, qui faisaient ou suivaient les cours et les leçons, qui adhéraient aux sectes ou assistaient aux chapelles, qui rédigeaient ou alimentaient les journaux, tous ces bourgeois-là, en majorité républicains, étaient fort mécontens d’avoir travaillé