Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses troupes sur ses positions du matin, leur laisser prendre un repos bien gagné, appeler ses commandans en chef, conférer avec eux, interroger les intendans, qui, mieux renseignés que dans la nuit sur les approvisionnemens, l’auraient mieux édifié, et il ne se rendit pas compte du tolle qu’allait susciter son ordre de retraite. Ce tolle dépassa tout ce qu’il aurait pu craindre.

L’ordre arriva aux divers corps entre une et deux heures de la nuit, sauf au 4e corps, auquel il ne parvint qu’a neuf heures du matin. Il produisit un effet de surprise, puis de consternation, puis de révolte. Les soldats avaient le sentiment qu’ils étaient vainqueurs plus qu’ils ne l’avaient été[1], qu’ils avaient remporté une victoire éclatante[2], arrêté un ennemi infiniment supérieur en nombre et qu’ils la compléteraient le lendemain. Lorsqu’on vint leur dire qu’il fallait, dès quatre heures du matin, décamper vers Metz, il y eut, parmi les officiers surtout, un mouvement de réprobation. « Encore reculer ! Et au soir d’une victoire ! » — La retraite à Borny avait étonné et mécontenté : on l’avait expliquée par la nécessité de rallier le plateau de la rive gauche de la Moselle, mais aujourd’hui, quelles raisons avait-on de revenir sur Metz ? « La bataille n’a donc été qu’une comédie ? Demain, l’ennemi, ne nous trouvant plus sur le champ du combat, l’occupera, se déclarera victorieux et nous aurons en vain versé notre sang. » Désormais il fut admis à titre de lieu commun que, du 13 au 16 août, en affichant la volonté de gagner Verdun, Bazaine n’en avait pas eu d’autre que celle de rester près de Metz. La soudaineté avec laquelle il avait passé de l’ordre de s’acheminer sur Verdun à celui de reculer vers Metz confirmait cette opinion. Et cependant cette opinion n’était pas vraie.

Du 13 au 16 août, Bazaine a voulu constamment gagner Verdun et s’éloigner de Metz. Il n’a pas cherché de bataille, et n’a accepté, qu’à son corps défendant, celles qu’on lui a imposées, parce que se battre, c’était diminuer ses chances de gagner Verdun. Si Bazaine n’avait pas voulu sincèrement quitter Metz, il n’aurait pas fait détruire le pont de Longeville ; il n’aurait pas regretté la bataille de Borny et essayé de la limiter ; il n’aurait pas, la bataille terminée, harcelé tous ses chefs de corps d’armée

  1. Procès. — Audience du 13 octobre.
  2. 'Ibid. Audience du 13 octobre.