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s’élaborait, parait-il, entre une dissertation sur le meilleur gouvernement et la démonstration de la charge en douze temps, « la science de la justice sociale, destinée à enseigner un jour à toute l’espèce humaine, sans distinction de contrées et de nations, comment elle doit s’agglomérer, s’associer, se partager les dons de la nature et se régler ensuite dans l’intérieur de chaque société. » En outre, on lui avait confié que, rue Taranne, à côté de Saint-Germain des Prés, s’assemblaient régulièrement un petit nombre d’initiés qui confessaient comme un dogme la maxime : « A chacun selon ses œuvres » et voulaient fonder là-dessus, dans le monde transformé, la religion nouvelle de l’ordre et du progrès.

Mais tout cela, loges maçonniques, sociétés, cours ou leçons, sectes ou chapelles, et les journaux ou revues, à tendances libérales et même socialistes, que l’on commençait à imprimer, c’était pour les bourgeois, pour les « propriétaires, » à qui légalement, constitutionnellement, l’Etat appartenait ; cela ne touchait pas le peuple, cela n’allait pas, ne descendait pas jusqu’à lui ; et, s’il s’y rencontrait par hasard, par-ci par-là, un employé, le plus souvent d’ailleurs en rupture de bureau, on n’y voyait point d’ouvriers, ou si peu, si perdus et si ignorés, si isolés que c’était comme s’il n’y en avait point. Ainsi, avant les derniers jours du mois de juillet 1830, notre ébéniste ou notre tanneur, si éveillé, si délié qu’il fût, si inquiet et bouillonnant, ne pouvait penser de lui-même qu’une chose : il était en marge de l’Etat, un « prolétaire, » comme un certain Amar l’avait baptisé en 1817, dans une brochure qui avait fait du bruit, un « non-propriétaire, » comme Benjamin Constant n’avait cessé de le lui répéter ; et, à ce titre, mineur ; et, à ce titre, exclu de la vie politique, ainsi que le sont et doivent l’être les enfans et les étrangers : « ceux que l’indigence retient dans une éternelle dépendance, et qu’elle condamne à des travaux journaliers, ne sont ni plus éclairés que des enfans sur les affaires publiques, ni plus intéressés que des étrangers à une prospérité nationale dont ils ne connaissent pas les élémens et dont ils ne partagent qu’indirectement les avantages. » Telle était la sentence portée par les docteurs, et l’on n’apercevait pas bien dans les deux faubourgs quand et comment elle serait révisée ; mais, après la lecture de l’histoire de Babeuf, au souvenir de 1793 et avec ce qu’il restait on renaissait de mouvement