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son sein, l’oreille collée à sa robe, j’entendis par trois fois, comme un vent léger, sa profonde respiration suivie d’un long soupir. Enfin elle releva mon front pour y imprimer le plus tendre baiser maternel, puis, sans cesser de presser mes tempes entre ses doigts fuselés, elle murmura :

— Ne pleure pas, mon enfant, je serai quand même ta mère… De loin, je penserai si souvent à toi… et peut-être le sentiras-tu !…

— Oh ! oui, m’écriai-je convaincu.

Très doucement, elle me reposa sur le banc, car je n’aurais pas quitté ses genoux tout seul. Puis elle ajouta :

— Je voudrais te faire un cadeau, te laisser un souvenir de moi.

J’étais suspendu à chacune de ses paroles. Je respirais son souffle comme un parfum paradisiaque. Mes yeux, qui suivaient le moindre de ses mouvemens, tombèrent sur la broche en filigrane d’or fixée à sa chemisette de mousseline. Par une convoitise subite, qui ressemblait à une inspiration, j’étendis la main vers le ravissant papillon, comme s’il était vivant, avec ce cri :

— Donne-moi cela !

— Oh ! de grand cœur, dit-elle dans un transport de joie. Je suis sûre qu’il te portera bonheur. Ne le perds jamais !

D’un geste rapide, elle détacha la broche de son cou et posa dans ma main le joli insecte de métal. Je l’y serrai convulsivement, comme si je craignais de le laisser s’envoler, et couvris de baisers passionnés la main de ma bienfaitrice.

La conversation se serait sans doute prolongée longtemps encore, si tout à coup je n’avais vu se dresser devant moi la figure toujours souriante de M. Assolant.

— Madame, dit-il en tirant sa montre, excusez-moi de déranger cet entretien. Je suis exact à la minute et même à la seconde. Il est trois heures. Tous les amis vous attendent pour le concert, vous savez, le concert des adieux. N’est-ce pas convenu ?

Au même moment, l’orchestre du kiosque voisin se mit à jouer une valse brillante.

— Je suis prête, dit-elle en se levant. Je m’étais levé, moi aussi. Elle me prit la main et m’embrassa encore une fois avec ces mots :

— Adieu, mon cher enfant. Sois sage et obéis à ton père.

Elle avait pris le bras de son compagnon. Au bout de trois pas, elle se retourna. Voyant que je m’étais rassis sur le banc, elle revint à moi et glissa dans ma main la rose blanche qu’elle portait à sa ceinture. D’un ton presque suppliant, avec des larmes