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trouvant plus son âme dans cette figure de cire. Et puis encore l’effrayante et inexplicable impression du garçonnet de quatre ans, quand le surlendemain je vis entrer un cercueil dans la maison et que ma bonne imprudente me dit : « C’est pour emporter maman au cimetière. »

Mon amie avait suivi mon récit précipité avec un intérêt croissant. Quand j’eus fini, d’un mouvement instinctif de protection, elle me prit dans ses bras et, ne posa sur ses genoux. Je ne fus pas surpris de ce geste qui mettait le comble à mon désir, car il me semblait à ce moment que Dieu voulait m’accorder quelque don merveilleux,

— Mon pauvre enfant ! dit-elle, maintenant je comprends tout ce que tu as dû souffrir pendant ta longue enfance privée de l’amour d’une mère,.. Mais je savais tout cela, ;

— Comment cela ? demandai-je étonné,

— Oui, je le savais. Il y a un mois, je t’ai rencontré dans la salle d’attente, près du cabinet de consultation de ton père. Tu étais debout devant un portrait, mais tu t’en détournas à mon entrée pour t’en aller. Alors je vis que tu regardais le plafond pour ne pas laisser couler tes larmes.

J’avais oublié le fait, mais son rappel excita ma sensibilité au plus haut point. M’enhardissant jusqu’à tutoyer cette femme qui me devinait si bien et laissant échapper mon vœu secret, je m’écriai :

— Ah ! si tu voulais être ma mère !

Un éclair de tendresse douloureuse sillonna les yeux de mon amie.

— Cher enfant, dit-elle, c’est impossible… Il faut que je retourne à Paris, où m’appelle ma fille !

— Quand pars-tu ? dis-je effrayé.

— Ce soir, à six heures.

C’en était trop pour mes nerfs d’enfant. Toute la tendresse latente, tout le besoin d’amour comprimé, qui couvait en moi depuis des années, éclata d’un seul coup. J’avais compris que j’allais perdre pour toujours cette seconde mère. N’avais-je pas le droit de la posséder une seule fois ? D’un mouvement violent, je me jetai à son cou et l’embrassai avec frénésie à baisers redoublés, puis je fondis en sanglots.

Elle ne me repoussa pas, mais serra des deux mains ma tête sur sa poitrine. De célestes délices m’envahirent. Blotti contre