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le feuillage se jouait sur sa peau ambrée. Tout de suite, mes yeux furent attirés par une broche qu’elle portait à sa collerette de mousseline. C’était un bijou très simple, qui lui allait à merveille, un papillon en filigrane d’or.

Le sourire dont elle m’accueillit fut si radieux et si enveloppant, que, du coup, j’oubliai toutes mes appréhensions. Le rayonnement de sa présence avait évaporé ma tristesse comme le soleil boit la rosée sur une feuille. On eût dit qu’elle voulait effacer par la chaleur de son affection la peine qu’elle m’avait faite la veille par son silence. Je m’assis timidement sur le banc, respirant à longs traits l’arôme de vie qui s’échappait d’elle avec je ne sais quel parfum capiteux.

— Aujourd’hui, dit-elle, en posant sa main dégantée sur ma main tremblante, je veux que tu me parles de ta mère. Car tu t’en souviens, j’en suis sûr, quoique tu l’aies perdue quand tu avais quatre ans.

J’avais gardé en effet un certain nombre de souvenirs de ma mère. Ils vivaient dans ma mémoire comme des tableautins places à grande distance les uns des autres. J’y pensais souvent sans le vouloir, mais jamais je n’en parlais à personne, pas plus à mon père qu’à d’autres. Cela m’eût été impossible. Je les portais en moi, sans même me douter à quel point je chérissais ces reliques. Mais, — à Elle, — combien facile il me fut de lui en parler et quelle félicité inconnue j’en ressentis ! En s’y intéressant, elle me les faisait découvrir à nouveau, à mesure que je les racontais. Je narrai ces choses futiles qui remontaient presque au berceau. D’abord souvenirs très confus, puis de plus en plus précis. Entre autres, un voyage en Suisse, en berline, à travers la plaine d’Alsace, où ma mère avait fait arrêter la voiture pour me cueillir un bouquet de bleuets et de coquelicots que je réclamais à grands cris ; puis la chute du Rhin, à Schaffhouse, que je n’ai plus revue depuis, mais dont je crois entendre encore le sourd tonnerre et. voir le gouffre blanc d’écume avec son arc-en-ciel flottant ; puis la traversée du lac de Constance sur un bateau à vapeur.

J’étais assis sur les genoux de ma mère, un orchestre jouait sur le pont et le bateau fendait l’immense nappe d’eau avec ses roues pareilles à des ailes frémissantes. Enfin j’osai rappeler le moment terrible où mon père m’avait conduit devant le lit de ma mère morte et où j’eus de la peine à la reconnaître, ne