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Mon voisin tira un carnet de voyage de son veston et se mit à lire d’une voix plus sonore que sa voix ordinaire. La diction était vibrante et d’une justesse parfaite. Les strophes prirent leur vol harmonieux. En les écoutant, je compris, pour la premiers fois, la beauté lucide de la poésie française. Je suivais ardemment la scène familiale, évoquée en vives couleurs. Je crus voir ces deux corps palpitans, la mère et la fille, enlacés d’une pure tendresse et fondus à la fin comme un groupe d’albâtre transparent. En vérité, je ne sais trop ce que valaient ces vers, mais leur dernière pensée se grava dans mon esprit en traits de feu. Elle disait que la plus splendide rivière de diamans ne valait pas le vivant collier formé par ces bras d’enfant autour de la nuque d’une telle mère.

Pendant cette lecture, j’avais senti passer à travers moi un singulier courant de chaleur. Mon amie n’avait pas levé les yeux de dessus son ouvrage qu’elle travaillait d’une main fiévreuse. Quand M. Assolant se tut en refermant son carnet, je les regardai. Elle était devenue très pâle et dit simplement :

— Ces vers sont très beaux. Vous me les donnerez, n’est-ce pas ? Ce sera le plus précieux souvenir de ma saison d’été.

Par-dessus ma tête, elle lui tendit la main qu’il saisit dans la sienne. Instinctivement je me rejetai en arrière et fixai la jeune femme qui regardait son ami. Je fus bouleversé de son expression. De ces yeux si calmes d’habitude, de ces grandes pensées, qui m’avaient rafraîchi d’une rosée maternelle, s’échappait maintenant une flamme redoutable, une flamme que je ne connaissais pas !… Je la sentais plus puissante que toutes les autres… et ce regard n’était pas pour moi !… Comme un éclair aveuglant il sortait de mon ciel bleu. J’en ressentis au cœur une douleur intolérable.

Leurs mains, dont je croyais sentir le serrement convulsif, restèrent étroitement enlacées pendant plusieurs secondes, qui me parurent des siècles. Leur regard durait toujours… Il me semblait que je voyais se confondre ces deux flammes immobiles, dardées l’une dans l’autre. Enfin il se leva comme pour s’arracher au charme.

— Adieu ! fit-il.

— Où allez-vous ?

— Vous le savez bien. C’est l’heure de la promenade à cheval. Nous serons au moins dix cette fois-ci et nous nous proposons