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passer mon chemin ? Ce fut plus fort que moi ; j’entrai dans la gloriette. Elle leva la tête et s’écria :

— Comment ? c’est toi, mon petit ami ? Tu te promènes ainsi tout seul ?

Je la regardais fixement sans proférer une parole. Elle lut sans doute un reproche muet dans mes yeux, car elle ajouta :

— J’allais te chercher à la Source. Viens t’asseoir ici, à mon côté, tout près.

Je n’attendis pas qu’elle l’eût répété. Suffoquant de bonheur, je m’installai à sa droite et lui exprimai ma reconnaissance en m’appuyant contre son flanc souple. Elle passa sa main autour de ma frêle épaule et murmura de sa voix grave, mais câline, qui remuait toutes mes fibres :

— Aujourd’hui je veux te confesser.

Je ne me souviens plus en détail de la conversation qui suivit. Ce fut, de sa part, un long questionnaire sur ma vie d’enfant à Strasbourg, sur mes goûts, mes jeux et mes leçons, sur mes études et mes professeurs. Réchauffé par cette sympathie intelligente, je me laissais aller à tout dire. Je trouvais des termes pour exprimer des choses que je n’avais jamais dites à personne, je formulais des pensées dont j’avais à peine eu conscience. J’en étais arrivé à parler de mes émotions dans la cathédrale, et je m’arrêtais de temps à autre, étonné de ce que je disais et cherchant les mots. Elle m’aidait, venait au-devant de ma pensée et semblait tout revivre avec moi, ne cessant de me regarder et répétant : « Continue ! continue ! « Alors de ses yeux violets, qui se dilataient à mon récit, ruisselait une lumière aussi merveilleuse que celle de la grande rosace…

À ce moment, je vis un tremblement de ses longs cils noirs et une teinte pourprée envahir sa joue. Je levai la tête. Un beau jeune homme, svelte et bien découplé, très élégamment vêtu, se tenait debout devant nous et nous considérait avec un mélange d’étonnement et de complaisance.

— Vous venez à propos, cher monsieur Assolant, dit mon Inconnue sans aucune gêne. Car je puis vous présenter le petit ami dont je vous ai parlé avant-hier. Regardez-le bien. Je suis sûr qu’il vous plaira et que vous l’aimerez.

Le superbe jeune homme m’ôta le chapeau, prit ma tête entre ses deux mains d’une caresse délicate et me regarda pendant