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— Oui… beaucoup !

Il fallut lui conter l’histoire du malheureux berger, qui entend le son de la harpe, aperçoit la belle Ondine, se précipite à ses genoux et bientôt se laisse entraîner par elle jusqu’au fond du lac. Il faut croire que je fis ce récit moins gauchement que les autres, car elle en accueillit la fin par cette exclamation :

— Bravo, petit monstre ! On dirait que tu y as été !

Alors, excité par mon succès et enflammé par les images que ma propre voix faisait jaillir de mon cerveau par fusées, je continuai.

— Pourquoi donc le berger s’est-il noyé ? L’Ondine n’habite-t-elle pas une grotte magnifique au fond du lac bleu ?

— Oui, sans doute, reprit gravement ma fée conductrice, une grotte avec des stalactites de saphirs et de rubis. Seulement, la grotte est pour l’Ondine et le berger se noie dans la vase… Quelle affreuse mort !… N’aurait-il pas mieux valu pour lui qu’il gardât ses moutons ?… et n’est-ce pas beau, quand on est berger, de ramener au coucher du soleil son troupeau au bercail ?

Cela me rendit pensif. Après un moment de réflexion, j’ajoutai involontairement :

— Oui, c’est beau… Mais si l’Ondine était encore plus belle ! À ces mots, le visage de l’élégante étrangère reprit toute sa gravité. Un sourire mélancolique glissa dans ses prunelles violettes et sur l’arc de sa bouche, pendant qu’elle laissa tomber ces paroles :

— Étrange enfant, perdu dans tes songes I Quels orages vont fondre sur toi et quel malheur que tu n’aies plus ta mère ! Tu verras qu’il est plus facile de rencontrer les Ondines que la fiancée de son rêve…

Je n’étais pas à même de saisir la portée de ces paroles, mais je me sentais compris dans le fin fond de mon être, et cela me pénétrait d’un bonheur inexprimable. Je savourais cette sensation si nouvelle pour moi. Mais brusquement ma confidente tira de son vêtement une petite montre attachée à une chaînette en or.

— On m’attend, dit-elle. Il faut que je m’en aille. Va retrouver ton père, il est souffrant et malheureux. Il a autant besoin de toi que toi de lui. Aime-le bien et sois sage… Nous nous reverrons, n’est-ce pas ?

Je répondis par un « Oh ! oui, » parti du fond du cœur. J’étais sur le point de saisir sa robe pour lui demander « où et