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chose de discret et d’intense. À cette minute, je n’apercevais que ses grands yeux d’un violet foncé, ombragés de longs cils soyeux. Fixés sur moi, ils m’interrogeaient avec une douceur impérieuse.

Muet d’étonnement, effarouché par cette apparition subite et ce contact imprévu, je ne répondais pas.

Elle se pencha sur moi avec une grâce charmante et continua d’une voix plus familière :

— Il ne faut pas avoir peur de moi, mon enfant. Je suis une cliente de ton père, qui m’a très bien soignée. Je t’ai rencontré plusieurs fois dans la salle d’attente. Tu avais l’air triste et tu regardais un portrait.

— C’est le portrait de ma mère. Elle est morte depuis longtemps.

— Maintenant je comprends tout, reprit-elle. Tu penses toujours à ta mère et tu n’aimes pas à dire tes pensées. Mais je suis une amie ; tu peux te confier à moi. Dis-moi pourquoi tu regardes toujours cette fresque. Elle représente une légende. Tu dois la savoir ; raconte-la-moi.

Le nom de ma mère défunte, prononcé par cette femme ravissante, sa voix mélodieuse jointe à son élégance exquise, m’amadouèrent tout de suite. J’avais lu la légende de la Noce des Esprits dans je ne sais quel livre et me mis à la raconter à bâtons rompus, en termes maladroits, comme font les enfans.

Elle m’écoutait avec une attention profonde et dit :

— C’est très étrange et très intéressant.

— Mais pourquoi, dis-je en terminant, le chevalier a-t-il fait ce rêve ? Avait-il déjà rencontré cette fiancée et l’a-t-il retrouvée plus tard ?… Ou bien… ne l’a-t-il jamais revue ?…

— Cela, nous n’en savons rien, dit la dame à la robe gris-perle avec un fin sourire. On ne sait jamais la suite de toutes les histoires, et cela vaut mieux. Elles sont plus jolies comme cela. Mais tu connais d’autres légendes ; je parie que tu sais par cœur toutes celles d’ici.

— Non, mais j’en sais quelques-unes, m’écriai-je très fier.

— Eh bien ! tu vas me les montrer et me les dire.

Elle m’avait pris la main et déjà je sentais que je me serais laissé conduire au bout du monde par cette main légère et nerveuse qui serrait si intelligemment la mienne en causant. Nous longions l’aile droite de la galerie.