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habitaient ; l’Ondine du lac bleu m’attirait invinciblement en bouleversant mes sens ; la Fiancée-Fantôme me faisait frissonner des pieds à la tête et me poignait au cœur. Heures silencieuses qui valaient peut-être toutes les autres. Ces fresques devenaient ainsi d’étonnantes lucarnes, ouvertes sur d’autres vies. Oh ! les longues, les intimes, les ineffables conversations muettes entre ces figures idéales et mon âme d’enfant ! Avec elles, je cessais d’être un exilé, j’étais enfin chez moi.

Quand je repense aujourd’hui à l’attraction que ces trois peintures exercèrent sur mon imagination vierge encore, j’y retrouve les trois puissances qui ont dominé ma vie : le mystère de la Nature, le mystère de la Femme et le grand mystère de l’Ame et de l’Au-delà.


IV

Par un jour savoureux de septembre, j’étais debout, immobile, devant la troisième fresque. Le soleil matinal chauffait les dalles carrelées en damier de la galerie. Les marronniers de la promenade, agités d’un vent léger, y faisaient danser l’ombre de leurs feuilles. Absorbé dans ma contemplation, je ne voyais rien du monde extérieur, quand je sentis une main gantée se poser sur mon cou et une voix de femme très douce, au timbre d’alto, me dire :

— Que fais-tu là, mon enfant ? Tu aimes donc bien les fresques !

En me retournant, je reconnus une jeune femme d’une trentaine d’années, que j’avais déjà entrevue plusieurs fois. C’était une Française venue de Paris. Pendant un court séjour à Strasbourg, elle avait consulté mon père. Une ou deux fois, je l’avais croisée dans l’escalier sans y faire attention. Puis, je l’avais revue à Bade, à la grande vasque de la source, où elle buvait son eau dans un étincelant verre de Bohême jaune et bleu. Elle avait échangé quelques propos hâtifs avec son médecin de passage et s’en était allée aussitôt après. Jamais elle ne m’avait adressé la parole et je l’avais à peine regardée. Maintenant seulement je la voyais. Elle était vêtue d’une robe gris-perle et coiffée d’un chapeau Rubens de même couleur où s’enroulait un voile bleu. Sous les bandeaux ondulés de ses cheveux très noirs, se dessinait un visage ovale d’une teinte presque olivâtre, aux traits fins, au nez aquilin. Toute sa personne avait quelque