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Selon la tradition, il avait cru entrer dans la grande salle du château et n’avait trouvé qu’une jeune fille assise et brodant à la fenêtre. Interrogée sur son nom, elle avait répondu qu’elle était la dernière de sa race. Sur quoi le visiteur lui avait demandé sa main. Aussitôt elle s’était levée en lui donnant la sienne comme si elle l’attendait. Alors la salle ténébreuse s’était subitement illuminée et remplie de monde. Les fiancés s’étaient vus transportés dans la chapelle du fond, devant un autel, où la statue d’un évêque de pierre, s’animant tout à coup, s’avança vers eux pour leur accorder la bénédiction nuptiale. Mais, au moment où ils allaient échanger leurs anneaux et prononcer leurs vœux, — un coq chanta, — et le chevalier s’éveilla de son rêve. Il était toujours couché dans l’herbe au pied de la ruine déserte, et son cheval paissait tranquillement à côté de lui. — Le peintre a choisi le dernier moment de la légende. Le rêve se dessine vaguement dans une grisaille pareille a une vapeur échappée de la ruine. Au-dessus des assistans vus de dos et qui semblent des ombres, le couple apparaît dans une lumière bleuâtre. D’un mouvement rapide comme le vol d’un oiseau, son écharpe au vent, la fiancée a l’air de s’élancer vers l’époux qui lui tend l’anneau… Entre eux, les yeux de l’évêque de pierre s’allument comme deux chandelles jaunes… Mais, au bas de la fresque, se dresse sur un pan de mur le coq dont la voix enrouée coupera la trame subtile de ce rêve comme d’un coup de ciseaux.

Il faut croire que j’étais prédestiné à m’intéresser à ce qu’on appelle aujourd’hui l’Occulte, l’Invisible ou l’Au-delà, puisque cette peinture agit sur moi comme une puissance magique et qu’elle plane encore sur tous mes souvenirs d’enfance comme une chose unique et merveilleuse. Je ne raisonnais pas, je ne pensais pas, je ne cherchais pas l’enchaînement logique des choses qui est le fait de la réflexion ; mais je me plongeais dans la contemplation de cette scène avec une curiosité ardente, une sympathie impétueuse. Et, pendant ces longues stations émerveillées, qui se renouvelaient tous les jours, j’avais la sensation de pénétrer dans un autre monde, — celui des esprits sans doute, — comme disait la légende en lettres d’or de la fresque.

Les deux autres peintures n’y perdirent rien. Chacune des trois me touchait autrement et m’introduisait dans une région différente. Les Nixes du Mummelsee parlaient à ma rêverie et me faisaient des confidences sur les parages inconnus qu’elles