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sa main gauche, elle caresse une biche blanche qui tend son fin museau vers les seins épanouis de la belle enchanteresse. Sa main droite retient une petite harpe posée sur son genou. L’Ondine chante, et la harpe vibre sous sa main en accords tentateurs. Un jeune berger accourt par la forêt ; malgré le vieil ermite qui veut le retenir, il jette sa houlette. On devine qu’il va s’élancer dans les bras de la séductrice… Et la légende ajoute les mots invariables des récits de ce genre : « Elle l’entraîna au fond du lac… et nul ne le revit jamais, »

Agé de dix ans, j’étais innocent comme l’enfant qui vient de naître. J’ignorais tout de la femme et du mystère des sexes. Néanmoins, cette fresque produisit sur moi l’effet d’une boisson enivrante. J’avais peine à en détourner les yeux. Le charme souverain de la femme, la force et le danger de la volupté, le pressentiment de l’Amour et de la Passion, tout cela me traversa d’un seul trait, d’une sensation à la fois délicieuse et torturante, devant la dangereuse peinture. Je me souvins alors que j’avais éprouvé des sensations analogues dans la salle d’attente, près du cabinet de consultation de mon père, en écoutant le rire perlé de certaines jeunes femmes élégantes qui causaient entre elles. Mais alors, dans mon for intérieur, je me révoltais contre ces rires mordans qui me remuaient étrangement et me semblaient à la fois une raillerie et une attaque à ma liberté. Maintenant au contraire, devant la ravissante Ondine, je me voyais perdu d’avance. Je sentais bien que j’aurais fait comme le berger, j’aurais jeté ma houlette aux orties et me serais noyé au fond du lac avec l’irrésistible enjôleuse.

— Mais pouvait-on se noyer dans un lac bleu, habité par une telle femme ?

À quelques pas de l’Ondine, une troisième fresque produisit sur moi une impression moins violente, mais plus mystérieuse et plus profonde, impression qu’on pourrait qualifier d’ordre spirituel et transcendant. Sur le cartouche du mur, on lit en lettres d’or : Die Geisterhochzeit (la Noce des Esprits). Le sujet se rapporte à la légende d’une ruine voisine, le château de Lauf, qu’on aperçoit de la plaine en allant à Bade. — Au bas du tableau, un chevalier en rouge pourpoint de chasse est couché au pied du vieux burg. Près de lui, son cheval harnaché et sellé broute l’herbe paisiblement. Le chevalier dort d’un profond sommeil. La partie supérieure de la fresque représente son rêve,