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près, excitèrent au plus haut point ma curiosité en parlant à ma sensibilité secrète.

La première représente une ronde nocturne de Nixes du Mummelsee, petit lac de la Forêt-Noire, situé a six lieues de Bade, dans la haute montagne et comme enseveli entre d’épaisses forêts de sapins. Les folkloristes de la fin du XVIIIe et du commencement du XIXe siècle, qui recueillirent les traditions populaires de la Forêt-Noire, entendirent raconter par les paysans que des pâtres et des chasseurs ayant passé la nuit près du Mummelsee avaient vu des formes blanches danser à la surface du lac et moirer, au clair de lune, ses eaux sombres de cercles argentés. Quelques-uns même de ces êtres capricieux seraient venus s’asseoir familièrement dans leurs cabanes, se chauffer à leur feu et les induire à mal par leurs conseils perfides, se narguant de leurs désirs et de leurs passions. On appelait ces êtres des Nixes, à cause de leurs voix moqueuses et de leur caractère narquois. Elles se montraient le plus souvent aux enfans. À ceux-là, elles ne faisaient aucun mal, jouaient volontiers avec eux, puis disparaissaient d’un plongeon ou d’un frisselis sous les roseaux épais.

S’adaptant à cette foi naïve, le peintre a figuré les Nixes du Mummelsee par une ronde de gracieuses jeunes filles sortant à mi-corps de l’eau, à demi vêtues d’écharpes transparentes. La ligne onduleuse des bras nus et des mains qui se joignent dessine le mouvement rapide de cette danse aquatique. Au-dessus des sombres forêts de la rive, une fente rouge se montre dans le ciel gris. C’est l’aube. Derrière les baigneuses, ravies de leurs jeux lunaires, apparaît une tête grise et couronnée. C’est leur père, c’est le roi des Nixes qui dit à ses filles : « Attention ! Voici l’aurore. Cessez vos jeux et cachez-vous au fond du lac… Le jour va paraître… et avec lui l’Homme… l’Ennemi ! »

En face de cette peinture, l’enfant de dix ans, que j’étais, ne pensait à rien de précis, mais il sentait mille choses confuses et inexprimables. Il restait muet, fasciné. C’était comme une révélation subite de toutes les forces mystérieuses qui se jouent derrière le voile ondoyant de la nature.

Tout autre fut l’effet de la fresque voisine. Sur un gazon fleuri de violettes et de jonquilles, une Ondine est assise sous un hêtre feuillu. Un rayon de soleil flambe dans ses cheveux d’or. Une ceinture de roses cache seule son éclatante nudité. De