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dans le monument, petite merveille dans la grande, l’horloge où un ange sonne les heures sur un timbre que tient la Mort et où les douze apôtres défilent à midi, tandis qu’un coq en bois pousse son cri rauque en agitant ses ailes de cuivre, mettait le comble à mon émerveillement. En somme, tous ces êtres fantastiques et légendaires, figurés dans les verrières et les statues, vierges, femmes, vieillards en dalmatique, saints et saintes vêtus de pourpre et d’azur, me semblaient beaucoup plus réels et familiers que les visages presque toujours graves et ridés que j’apercevais chez moi. J’ignorais ce qu’ils me disaient, mais leur sourire et leurs couleurs enflammées me parlaient doucement et versaient dans mon cœur un baume consolant.

Je me rappelle, comme d’une chose unique, le jour où mon père et moi, sous la conduite de l’archiviste de la ville, nous fîmes le tour des couloirs intérieurs et des galeries extérieures de l’immense édifice. Cela dura des heures qui passèrent comme un instant. Que de pignons lancéolés, de statues colossales, de gables fleurdelisés, aperçus ou frôlés, au passage de ces escaliers tournans, de ces balcons suspendus sur l’abîme ! Lorsque enfin, par un long corridor obscur, nous atteignîmes une petite lucarne placée au-dessus du chœur, et que nous pûmes embrasser d’un coup d’œil l’intérieur de la cathédrale, je poussai un cri d’admiration. Nous dominions de haut la grande nef, qui ressemblait, avec ses verrières, à une châsse énorme, étincelante de rubis et de diamans. Les femmes agenouillées en bas, dans la pénombre, près de la chaire, ne paraissaient pas plus grandes que des fourmis, tandis que le grand orgue, avec ses tuyaux reluisans et ses ailes éployées, bordées d’or et de rouge, évoquait l’idée d’un Archange-Géant, suspendu aux chapiteaux et prêt à fendre la voûte de sa tête. Involontairement mes yeux se fixèrent sur la grande rosace qui flamboyait en face de nous, à l’autre bout de l’édifice. Quelle splendeur et quel éblouissement ! De sa roue, elle éclaboussait de lumière toute la nef et dardait ses flèches rutilantes vers l’infini. — Ah ! de quel autre monde fusaient les rayons multicolores jaillis du cœur de cette rose, brillante comme l’arc-en-ciel et changeante comme un kaléidoscope ?

Nouveau saisissement quand nous atteignîmes, par l’escalier en colimaçon, la plate-forme du dôme, au pied de la grande tour, posée là comme une prodigieuse sentinelle. Nous avions