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consommation des munitions a été considérable. Avec la grande habitude qu’il possède de ces choses, il croit pouvoir vous affirmer que les munitions feraient défaut s’il devait se livrer demain une autre bataille aussi importante que celle de la journée. »

Quels moyens en ce moment de vérifier l’information envoyée par Soleille ? On ne pouvait demander au maréchal d’ouvrir les coffres et de constater s’ils étaient pleins ou vides. Interrogerait-il ses commandans de corps ? Mais à cette heure, où les trouver ? Comment les réunir, et délibérer ? Se serait-il adressé aux chefs d’artillerie, il n’aurait pu en rien obtenir, puisque Soleille, qui les avait interrogés le même jour à dix heures du soir, ne reçut leurs réponses que le lendemain dans la journée. Bazaine s’en référa à l’affirmation de Soleille ; il y était d’autant plus enclin que, depuis le commencement de la campagne, il était lui-même très pessimiste et partageait l’opinion, si inconsidérément et si constamment vociférée, qu’on manquait de tout. Fùt-il Napoléon, qui pourrait commander une armée s’il devait contrôler lui-même, au milieu de ses manœuvres, les renseignemens fournis par les chefs de service responsables ?

Bazaine avait écouté la communication de Vasse-Saint-Ouen. « Répétez, dit-il, ce que vous m’avez dit. Où sont vos munitions ? — Monsieur le maréchal, il faudrait en prendre à l’arsenal de Metz. — Eh bien ! j’ai déjà dit qu’on ramène des cartouches avec les voitures vides de blessés. — Et combien de temps faut-il pour cette opération ? — Si l’on ne perd pas un instant, nous pourrons avoir les coffres dans la matinée de demain ; pour les voitures auxiliaires, ce sera plus long. »

Une note, écrite au crayon par Bourbaki, sur l’ordre que lui avait envoyé Bazaine de continuer le lendemain sur Verdun, vient confirmer, à point nommé, les renseignemens du colonel Vasse-Saint-Ouen. Il y était dit : « Nous n’avons plus de cartouches. — Nous n’en finissons pas d’enlever nos blessés, faute de cacolets ; Vionville est occupé. — Il faudrait que le maréchal Le Bœuf et le général Ladmirault fussent chargés d’attaquer de flanc ; nous pourrions, nous, conserver le front. — Les Prussiens ont reçu du renfort. » Enfin les officiers envoyés vers les isolés dont Bazaine avait traversé la débandade, viennent raconter qu’ils n’ont pas réussi à leur persuader de regagner leurs corps ;