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d’une scène de théâtre, entre des portans de carton peint et une toile de fond pour le bouquet final d’un drame à grand spectacle. Chaque geste est une périphrase ; chaque membre une démonstration anatomique.

Pas d’air, pas de frissonnemens lumineux, pas de reflets portés par les objets proches ou lointains, pas d’interchange de couleurs. Aussi, non seulement tout est faux, mais tout est froid. On se sent en présence d’un monde artificiel, voulu, non senti, laborieusement enfanté dans une idée philosophique. On ne se trompe pas. « Les arts, disait David à la Convention, doivent puissamment contribuer à l’instruction publique. Ce n’est pas seulement en charmant les yeux que les monumens de l’art ont atteint le but, c’est en pénétrant l’âme, en faisant sur l’esprit une impression profonde semblable à la réalité. C’est alors que les traits d’héroïsme, de vertus civiques, offerts aux regards du peuple électriseront son âme et feront germer en lui toutes les passions de la gloire, de dévouement pour sa patrie. Il faut donc que l’artiste soit philosophe... »

Une fois enfermé dans cette idée, David est insensible à tout le reste. L’antique et la statuaire sont deux œillères qui l’empêchent de voir le monde extérieur, sauf quand une circonstance impérieuse, involontaire, lui met le nez dessus. Il s’acharne à imaginer des héros fictifs, dont il épelle péniblement les noms dans de fades traductions et il ne songe pas à laisser au monde le témoignage de la prodigieuse épopée où il vit. Vingt ans durant, il a vu passer devant lui Murat, Ney, Lasalle, Masséna, Lannes, Poniatowski,


Ces Achilles d’une Iliade
Qu’Homère n’inventerait pas...


il ne les a pas reconnus, parce qu’ils n’étaient pas habillés, — ou déshabillés, — à la mode antique. Il ne les a pas peints. Il a détourné les autres de les peindre. Il meurt enfin, l’épopée finie, sans s’être douté qu’il a toujours eu, auprès de lui, ce qu’il est allé chercher bien loin dans le passé et chez des peuples inconnus. Ainsi, il laisse à d’humbles dessinateurs, à des faiseurs d’images populaires, la gloire de frapper nos imaginations à l’effigie des héros. Les grognards de Raflet sont épiques : les Grecs de David ne le sont pas.