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Il y a là deux espèces de figures. Il y a des figures qui sont des gens, des personnes qui ont vécu vraisemblablement, avec des costumes démodés, mais seyans ou divertissans, qui vous regardent, qui semblent vivre encore et avoir quelque chose à vous dire. Et puis, il y a des bonshommes dévêtus, qui font de grands gestes, manifestement sans objet, qui portent des paquets de linge en guise de vêtemens, qui ne ressemblent à personne qu’on ait connu, qui ne rappellent que des statues, qui n’ont jamais vécu dans aucun temps, ni dans aucun pays et qui ne nous « disent rien, » parce qu’elles n’ont rien à nous dire. Cela s’appelle Socrate au moment de prendre la ciguë, ou bien Bélisaire reconnu par un soldat qui avait servi sous lui, au moment où une femme lui fait l’aumône, ou bien encore Eristrate découvrant la maladie d’Antiochus dans son amour pour Stratonice, ou le Serment des Horaces, ou Léonidas aux Thermopyles...

Ce sont des statues mises bout à bout, sur un seul plan, sans éloignement, sans profondeur, sans paysage presque, sans ciel, sans effets d’ombre et de lumière qui les fassent vibrer, sans atmosphère, et enfin sans aucune diaprure de couleurs, posées dans le vide, en des attitudes théâtrales, avec des gestes toujours en extension, les membres formant, avec la ligne du corps, de grands angles ouverts, gestes dépourvus de toute expression physionomique, dictés par des maîtres d’armes ou des professeurs de gymnastique. Tout est faux, je ne dis pas scientifiquement faux, mais manifestement et de façon agressive. Il saute aux yeux que, jamais, on ne s’est dévêtu comme Tatius et Romulus, pour combattre, ou, qu’ainsi dévêtu, on n’a pas arboré, pour toute parure, un casque monumental. Il est évident que Socrate a reçu des leçons de Talma et qu’un homme au moment de mourir, et, si philosophe qu’il puisse être, ne s’étudie pas à faire deux gestes à la fois : un geste démonstratif pour montrer le ciel à ses disciples et un geste effectif pour prendre la coupe que tend le valet des Onze. Il n’est pas douteux que ce valet ait été instruit par un maître de ballet, pour avoir si bien pivoté sur lui-même, au moment où il a tendu la coupe au philosophe, de sorte que son pied gauche soit encore à l’avant-dernier temps du mouvement. Il est clair que Romulus ne songe pas plus à atteindre Tatius, que Tatius ne songe à se garer du coup, mais que tous les deux gardent la pose pour qu’on les admire. Léonidas, enfin, et ses compagnons se sont groupés sur le devant