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l’enthousiasmait et l’entraînait à une imitation presque servile, tant qu’il était là, lui paraissait, l’exaltation tombée, une mesquinerie, une passion enfantine, et il s’en détournait aussitôt.

Bien mieux, il en détournait les autres. On a de lui une lettre à Gros, écrite de Bruxelles, en 1820, qui, sur ce point, illustre admirablement sa pensée : « Etes-vous toujours dans l’intention de faire un grand tableau d’histoire ? écrit-il à son élève. Je pense que oui. Vous aimez trop votre art pour vous en tenir à des sujets futiles, à des tableaux de circonstance : la postérité, mon ami, est plus sévère. Elle exigera de Gros de beaux tableaux d’histoire. Quoi ! dira-t-elle, qui devait, plus que lui, représenter Thémistocle faisant embarquer la valeureuse jeunesse d’Athènes, se séparant de sa famille, abandonnant ce qu’elle a de plus cher pour courir à la gloire, animée par la présence de son chef ? Pourquoi Alexandre, âgé de dix-huit ans, sauvant son père Philippe, n’a-t-il pas été représenté par Gros ? A-t-il oublié aussi les mariages samnites ?... S’il voulait s’en tenir à Rome, que n’a-t-il peint Camille qui punit l’arrogance de Brennus, le courage de Clélie allant trouver Porsenna dans son camp, Mucius Scævola, Regulus retournant à Carthage, bien convaincu des tourmens qui l’y attendent, etc. ? Le temps s’avance, et nous vieillissons et vous n’avez pas encore fait ce qu’on appelle un vrai tableau d’histoire. (Gros n’avait fait, à la vérité, que Bonaparte à Jaffa, la Bataille d’Eylau et quelques autres morceaux semblables.) Vite ! vite ! feuilletez votre Plutarque... » Il faut lire cette lettre, dans cette salle du Petit Palais, où sont les Gros et les Gérard, entre les admirables portraits de Murat et de Chaptal, pour en goûter toute la saveur. « Je suis content, ajoute-t-il un peu plus tard, de vous voir tiré des habits brodés, des bottes, etc. Vous vous êtes assez fait voir dans ces sortes de tableaux où personne ne vous a égalé. Livrez-vous actuellement à ce qui constitue la vraie peinture d’histoire... »

Ce que David entendait par la « vraie peinture d’histoire, » nous le voyons à côté de ses portraits ; et c’est un autre art, et c’est un monde tout autre. L’antithèse est si nette qu’elle fait, tout le long de l’exposition, une sorte de cloison étanche entre les deux sortes de tableaux. Le passant qui gravit les marches du Petit Palais et entre dans ces salles, sans avoir chaussé les lunettes de l’érudition, sans avoir jamais rien lu sur David, — un enfant, par exemple, — s’en aperçoit tout de suite.