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geste qu’il n’a pas pu contenir : il était de sa part naturel et légitime, et le pays a pu y voir un avertissement silencieux qui valait mieux que de longs discours. Mais les Chambres, qui se sentent faites pour discourir, ont, elles aussi, une susceptibilité très irritable. M. Jaurès les connaît bien, et il sait profiter des occasions comme un manœuvrier expérimenté ; il n’a pas laissé échapper celle qui s’offrait à lui et a présenté, en fin de séance, une motion par laquelle le gouvernement était invité à faire respecter la liberté des délibérations de l’Assemblée. Comme l’a fait remarquer M. Deschanel, ce n’est pas le gouvernement qui a charge de faire respecter la liberté de la Chambre, c’est son président. M. Jaurès ne l’ignorait pas, mais il voulait obtenir du gouvernement un désaveu du général Pau, son commissaire, qui n’aurait pas pu le rester après cela. La situation était délicate, difficile même. L’impression ressentie par la Chambre avait été vive et M. Jaurès se sentait soutenu. M. Barthou a compris le danger et, en quelques mots pleins d’à-propos, il a contenu et dissipé l’orage qui commençait à se former. Sans doute le général Pau, qui n’a pas l’habitude d’être injurié à bout portant, avait éprouvé un mouvement d’impatience qu’il aurait mieux fait de contenir, mais le fait a paru véniel au gouvernement. Il a défendu le général, sans descendre jusqu’à plaider en sa faveur les circonstances atténuantes : il a expliqué la psychologie de son cas, ce qui était la meilleure chose à faire et, repoussant la motion de M. Jaurès, il a déclaré que le gouvernement ne s’associerait pas à une « lâcheté. » mobilité des assemblées ! On a vu une fois de plus comment un mot les tourne et un autre les retourne. La Chambre a regardé le banc du gouvernement ; elle y a vu, dans la simplicité de son attitude, un vieux général qu’elle sait être l’honneur de notre armée ; quelque chose s’est tout d’un coup ému en elle. Dès lors, la manœuvre de M. Jaurès était déjouée, et il l’a si bien senti lui-même qu’il a retiré sa motion, se bornant à indiquer, dans une phrase équivoque, qu’il avait obtenu une suffisante satisfaction. Mais M. Barthou n’a pas voulu la lui laisser : reprenant la parole, il a affirmé que le général Pau resterait le commissaire du gouvernement dont il avait toute la confiance, et cet incident, qui aurait pu mal finir, a fini au contraire dans un soulagement de la conscience générale, dont le gouvernement avait exprimé la pensée véritable et le sentiment profond.

Quant à la discussion de la loi, elle continue sans renouveler beaucoup, car il n’est pas possible de le faire, les argumens pour ou contre qui ont été donnés partout. Nous ne voulons pourtant pas