Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/957

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’armée d’une estime, d’une considération, d’une sympathie et il faut ajouter d’une confiance hors de pair. Ce grand soldat mutilé est l’image même de la patrie telle que l’ont laissée nos désastres, mais aujourd’hui relevée et résolue. Seulement, le général Pau ne connaît pas nos assemblées parlementaires ; il y pénétrait, croyons-nous, pour la première fois et, n’ayant aucune habitude de l’atmosphère qu’on y respire, il s’en est senti tout de suite incommodé et étouffé. Un orateur radical était à la tribune, M. Chautemps, homme studieux, mais homme de parti, et l’un des adversaires les plus déterminés de la loi de trois ans. C’est son droit de l’être et de défendre son opinion à la tribune, même par de mauvais argumens : il a toutefois dépassé la mesure lorsque, non content d’exposer cette opinion et ces argumens, il a attaqué l’état-major de notre armée en le rendant responsable, par son inertie, son incurie, sa mauvaise volonté, de l’insuffisance dont le service de deux ans a fait preuve dans la pratique. La thèse qu’a soutenue M. Chautemps le sera encore, car c’est celle des adversaires de la loi : bornons-nous à souhaiter qu’elle le soit avec plus de modération dans les termes et plus de justice dans le fond. Il est d’ailleurs vrai que la loi qui a réduit le service à deux ans avait prévu qu’une instruction militaire intensive serait donnée à la nouvelle armée et que, notamment, on créerait pour cela des champs d’instruction qui sont restés à l’état de promesse. C’est un peu comme pour la loi du maréchal Niel, qui avait créé sur le papier la garde nationale mobile, laquelle n’avait pas encore été organisée au moment de la déclaration de guerre ; mais la responsabilité de cette négligence ne saurait être attribuée au maréchal, pas plus qu’on ne peut attribuer à notre état-major d’aujourd’hui d’autres négligences dont la faute revient à ceux qui ne lui ont pas donné les moyens de tirer de la loi tout ce qu’elle pouvait donner. Nous croyons au surplus que, de quelque façon qu’on s’y fût pris, elle n’aurait pas pu donner tout ce qu’on en attendait. Mais M. Chautemps a trouvé plus simple d’accuser l’état-major de notre armée et il l’a fait d’une main lourde et brutale. Alors, à deux reprises, le général Pau s’est levé pour quitter la salle des séances et les membres du gouvernement qui l’entouraient ont eu quelque peine à le retenir.

Qui ne comprendrait l’impression du général et le mouvement réflexe qui en a été la suite ? Après quarante-trois ans de services, il est dur pour un vieux soldat, qui se croit sans reproches comme il est sans peur, d’entendre traiter le corps auquel il appartient à la manière de M. Chautemps. Ce n’est pas nous, certes ! qui lui ferons un grief du