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réponse au père de Guido Cavalcanti. « Ce que vous me racontez du cours futur de ma vie, dit-il à Brunetto Latini, je l’inscris en moi et l’y garde, pour interroger là-dessus, comme aussi sur une autre prédiction à moi faite (par Farinata), la dame qui le saura, si seulement je parviens à elle ! »

Pendant la montée du Purgatoire, au contraire, Virgile ne se fait plus scrupule de nommer Béatrice ; et de page en page ses allusions deviennent plus nombreuses à la dame qui l’a chargé de lui amener le poète amoureux. Mais cet amoureux, lui, continue à ne la point désigner formellement par son nom, à l’exception d’un seul cas, — le plus important de tous, en vérité, pour notre étude du « problème » de Béatrice. Je veux parler de la mémorable rencontre du poète, au XXIIIe chant du Purgatoire, avec son ancien ami et confident Forese, membre de cette famille des Donati à laquelle appartenait l’épouse légitime de Dante. Forese n’est mort que depuis cinq ans à peine ; et son ami s’étonne de le voir déjà délivré de l’épreuve préalable de l’ « Antepurgatoire. » Forese répond que le temps de l’épreuve lui a été abrégé par les larmes de « sa Nella, » par « ses pieuses prières et par ses soupirs. » Il ajoute que sa « veuvette, » vedovella, « qu’il a tant aimée, » est d’autant plus chère à Dieu qu’elle est plus seule à faire le bien, entre les « effrontées dames florentines. » Puis il demande à Dante de lui dire à son tour par quel miracle il a pu pénétrer, vivant, dans le séjour des morts.


Et, donc, moi à lui : « Si tu te remets en mémoire — quel tu fus avec moi, et quel je fus avec toi, — ce seul souvenir présent aura encore de quoi te peser !

« De cette vie m’a détourné celui — qui va maintenant devant moi, l’autre jour, à l’heure où, toute ronde, — apparaît au ciel la sœur de celui-ci !

« (Et je lui montrais le Soleil.) Ce guide par la profonde nuit, — m’a emmené de la région des vrais morts, — avec cette véritable chair qui est en train de le suivre.

« Et puis il m’a entraîné dans sa propre région, — gravissant et contournant la montagne — qui vous redresse, vous que le monde a tordus !

« Il m’a promis de m’accompagner jusqu’à ce que — j’arrive là où sera Béatrice. — Là-bas, il faudra que je reste sans lui ! »


A son compagnon de jeunesse, comme l’on vient de voir, Dante a ouvertement nommé cette Béatrice dont il n’avait pas osé prononcer le nom devant maints autres amis, rencontrés presque à toutes les étapes de sa traversée de l’Enfer et du Purgatoire. D’où M. d’Ancona tire un nouvel argument en faveur de sa théorie « réaliste. » Que si