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l’éminent professeur de littérature italienne à l’université de Pise ; et c’est déjà expressément contre elle qu’était dirigée, en l’année 1865, une conférence du jeune érudit, dont la réimpression lui offre aujourd’hui le point de départ d’une longue, savante, et captivante étude, toute consacrée à la défense de ce que l’on est convenu d’appeler la théorie « réaliste, » dans le grand débat ouvert depuis des siècles autour de Béatrice. M. d’Ancona nous apprend que l’homme d’État, poète, et historien Bovio disait de lui autrefois à leur ami commun, le fameux Crispi : « D’Ancona est un pédant, qui ne saurait comprendre le génie de Dante ! » Mais il va de soi que le vénérable professeur ne partage pas cette opinion de Bovio sur son compte ; et d’autant plus assidûment il lâche à nous prouver que personne ne connaît, ne comprend, et n’aime mieux que lui l’art merveilleux du poète de la Divine Comédie. Négligeant les témoignages plus ou moins douteux des biographes, il demande à l’œuvre même de Dante de nous renseigner sur les sentimens qui l’ont inspirée ; et le fait est qu’il met à l’interroger une science exemplairement profonde et sûre, sans se lasser de peser, de contrôler, d’examiner, séparément et en les comparant l’un à l’autre, jusqu’aux moindres passages de toute l’œuvre du poète qui auraient quelque chance de nous révéler le secret de l’attitude véritable de celui-ci à l’égard de sa Béatrice. Quoi que l’on doive penser des conclusions où il aboutit pour son propre compte, les deux cents pages environ de ses nouveaux Écrits Dantesques qui traitent du problème de Béatrice constituent désormais pour nous un très complet et précieux répertoire de l’ensemble des morceaux de la Vie Nouvelle, du Banquet, et de la Divine Comédie, où Dante lui-même non seulement fait mention de sa Béatrice, mais encore nous décrit des « états d’âme » capables de nous expliquer le rôle (ou les rôles divers) qu’il a voulu prêter à son héroïne.


Essayons de parcourir très rapidement, par exemple, avec l’assis- tance de M. d’Ancona, les deux premières parties de la Divine Comédie, en recherchant sous quel aspect nous y est présentée la figure de Béatrice ! Tout d’abord, comme l’on sait, le nom de l’héroïne est rappelé au poète par Virgile, qui lui raconte comment, dans sa demeure du Purgatoire, il a été abordé par une « dame bienheureuse et belle, » venue là, avec « des yeux pleins de larmes, » et pour le prier d’aller au secours de son ami, « afin qu’elle-même en soit consolée. » « Je suis Béatrice, — lui dit-elle, — et c’est l’amour qui m’a conduite ici, et me fait te parler ! » Après quoi, le nom de Béatrice n’est plus prononcé