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la postérité. Bien d’autres de ses modèles sont remarquablement laids, de cette laideur qu’on nomme « ingrate. » Il n’en avait cure. C’était vivant, caractérisé, donc matière à tableau. Parfois, d’ailleurs, il a laissé échapper l’aveu de sa nature profonde. « Je n’aime pas le merveilleux, je ne puis marcher à l’aise qu’avec un fait réel. » Voilà l’artiste qui était en lui, voilà le cri de l’instinct.

Quand il l’a suivi, David a fait des chefs-d’œuvre. Nous les voyons ici. Ce sont ses portraits. Tous ne sont pas égaux. Ils s’échelonnent sur plus d’un demi-siècle. Le premier a été peint avant que la Révolution fût commencée, le dernier lorsque l’Empire n’était plus qu’un souvenir. Entre les têtes de Jacques Desmaisons, architecte du Roi, de Mme Buron, qui pourraient avoir été vues sous Louis XV, et la tête de Sieyès, vieilli et exilé, qu’on imagine fort bien causant avec Lamartine ou M. Thiers, il y a tout un monde. Non seulement un monde politique détruit, un édifice social écroulé, mais une complète révolution de la peinture. Les premiers sentent encore Boucher, les derniers annoncent M. Ingres. C’est la nouveauté et l’originalité de cette exposition que de nous montrer les commencemens inconnus d’un artiste célèbre et aussi sa fin lamentable et jusqu’ici pieusement cachée. Nous y voyons David avant qu’il fût David, et nous le voyons, aussi, quand il ne l’était plus guère et ne paraissait plus que son propre élève, une sorte de Fabre travaillant pour un musée de province. Mais toujours en lui, et quelle que soit l’époque ou la manière, le portraitiste est admirable.

Regardez ses figures les plus dissemblables, si dissemblables qu’elles paraissent de plusieurs mains différentes, depuis le Desmaisons (no 17) jusqu’aux portraits de Jeune garçon (no 13) et du flûtiste Devienne (no 12), du Baron Jeanin (no 52) et du Baron Meunier (no 53), en passant par son propre portrait jeune (no 26), celui de la Marquise d’Orvilliers (no 30), et surtout la délicieuse Marquise de Pastoret (no 39). Tous ont le même accent de vérité. Les attitudes sont d’un naturel parfait. Elles ne sont pas posées : elles sont surprises ; c’est à peine si le pinceau arrêtant la plume, l’aiguille, la flûte, la main qui puise à la tabatière ou touche le clavecin, les a immobilisées. Il y a plus de réserve que d’abandon, plus de sérieux que de grâce, si on les compare aux portraits d’avant la Révolution ; nulle coquetterie, une sorte de dignité bourgeoise, mais rien de tendu, d’austère, d’agressivement