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REVUES ÉTRANGÈRES

LA BÉATRICE DE DANTE


Scritti Danteschi, par Alessandro d’Ancona, 1 vol. in-8o ; Florence, 1913.


Au temps de l’année où la douceur du ciel revêt de ses ornemens la terre, et la fait toute riante par la variété des fleurs mêlées aux verts feuillages, l’habitude était que les hommes et les dames de notre cité de Florence donnassent des fêtes dans leurs maisons, en y invitant une société choisie ; et ainsi est arrivé d’aventure qu’un premier jour de mai messire Folco Portinari, citoyen des plus honorés d’alors, a rassemblé chez lui ses voisins, pour festoyer avec eux. Or, de ces hôtes faisait partie messire Alighieri ; et son fils Dante, qui n’avait pas encore achevé ses neuf ans, était venu avec lui, comme d’ordinaire les petits enfans suivent leurs parens, surtout lorsqu’il s’agit de se rendre en des lieux de fête. Il se trouvait là mêlé aux autres enfans de son âge, qui étaient réunis en grand nombre, garçons et filles, dans la maison des Portinari ; et, après qu’on leur eut servi un repas accommodé à leur âge, le petit Dante, ainsi qu’il convenait à un enfant, s’est mis à jouer avec ses compagnons.

Et voici qu’il y avait, dans la foule de ces enfans, une petite fille du susdit Folco, qui s’appelait Bice, — encore que Dante l’ait toujours nommée d’après son nom primitif, c’est-à-dire Béatrice, — laquelle fille était âgée d’environ huit ans, et très gracieuse et belle selon sa petitesse, et très douce et plaisante dans ses actions, avec des manières et des paroles beaucoup plus graves et mesurées que l’exigeait son âge ; sans compter qu’elle avait les traits fort délicats et excellemment disposés, et tout pleins encore, par delà leur beauté, d’un tel charme ingénu que l’enfant s’était acquis auprès de maintes personnes la réputation d’un ange. Or donc cette Bice, telle que je l’ai dépeinte, ou peut-être beaucoup plus belle, apparut pendant cette fête aux yeux du petit Dante non pas, sans doute, pour la première fois, mais avec un pouvoir tout nouveau de le rendre amoureux ; et bien que notre Dante ne fût encore qu’un tout jeune garçon, il accueillit dans son cœur avec tant d’affection la belle image de Bice Portinari que