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reine d’Amalec qu’il aime sans en être aimé, il se prépare à passer au culte des faux dieux. En faisant effort, on pourrait découvrir que ce Nadab inquiet, mélancolique, werthérien, poursuivi par la fatalité, avide d’orages et courtisan du malheur, a un peu en lui de l’âme de René et de celle de Chateaubriand. Mais à quoi bon s’ingénier pour étreindre le néant ? Nous sommes ici dans le royaume des ombres, où des ombres de personnages s’agitent autour de l’ombre d’une action. Çà et là quelques beaux vers qui pourraient être de Corneille ou plutôt de Crébillon ou de Marie-Joseph Chénier. Chose curieuse : ils n’ont rien de la troublante harmonie et des résonances profondes qu’ont certaines périodes de celui qui fut un si admirable poète et l’égal des plus grands, quand il écrivait en prose. Cela est de nul intérêt et surtout n’ajoute rien à la gloire d’un écrivain suffisamment illustre par ailleurs : le Moïse de Chateaubriand pourra dormir à côté du Saül de Lamartine, pendant que nous relirons Atala et les Méditations.


Les Escholiers nous ont conviés à entendre une série d’ouvrages, vers et prose, qui se recommandent d’abord par la jeunesse de leurs auteurs. Coup double de MM. Jean Renouard et Léon Leclerc est une agréable piécette en vers. Le berger Lucas abandonné par sa bergère a résolu de mettre fin à ses jours ; la bergère Muguette, trahie par son berger, a décidé de se « périr. » Ils se rencontrent, se confient leurs peines et s’unissent en légitime mariage. Firent-ils pas mieux que de se tuer ? Badinage léger et frais : cela se passe au bord d’une rivière. Également en vers, mais avec plus de lyrisme et plus d’envolée, l’Épreuve d’amour, de M. Henry Grawitz, a plu. C’est ici le genre antique, qu’au temps de Ponsard et d’Augier on appelait néo-grec. Côté des pièces en prose. Le Tournant de M. Lionel Nastorg pourrait s’appeler, si le titre n’était déjà pris : le plaisir de rompre. Deux amans, sentant prochaine la fin de leur liaison, décident de rompre en beauté : ils se quittent pour n’avoir pas à se « lâcher. » On a fait un grand succès à cette saynète, qui sera sans doute reprise ailleurs. La vraie Loi, de M. René Carraire, drame bourgeois et noir, conclut nettement contre le suicide, ce à quoi on ne saurait trop applaudir... Ces auteurs sont de jeunes auteurs : ce ne sont pas des révolutionnaires.


RENE DOUMIC.