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l’Abbaye-au-Bois. L’assemblée la plus brillante fut convoquée : Cousin, Villemain, Lamartine, Mérimée, le duc de Broglie. Nous savons par Mme Lenormant, qui n’est pas un témoin prévenu, l’échec lamentable de cette première épreuve. L’acteur Lafond, qui gasconnait, se tira convenablement du premier acte. « Dès le second, il ânonne, hésite, se trouble, dit que le manuscrit est mauvais. Impatience de l’auditoire, supplice parfaitement dissimulé de M. de Chateaubriand, désespoir de Mme Récamier. » Cela se passait le 27 juin 1829 et n’était pas de nature à triompher des résistances de nos grands comédiens. Cependant ni Chateaubriand, ni Mme Récamier ne renonçaient. Le 2 octobre 1834, une première et unique représentation eut lieu... au théâtre de Versailles. Ce fut un désastre. « Si les loges firent bonne contenance, écrit Edmond Biré dans les Dernières années de Chateaubriand, le parterre ne cacha pas son ennui. Tout le monde sortit triste, comme on sort d’une cérémonie funèbre. A la porte du théâtre, Mme Récamier, pressée et coudoyée par la foule, qui ne la reconnaissait pas sous son voile baissé, avait peine à retenir ses larmes ; il lui fallut attendre longtemps, au milieu de cette cohue, la voiture de louage que M. Ballanche cherchait en vain dans la rue. » Tout arrive. De Versailles voici Moïse à l’Odéon : il se rapproche.

Mme Récamier aurait été contente de M. Antoine, et aussi du public qui, par un bel après-midi du mois dernier, s’enferma pour entendre les vers de Chateaubriand. Il était, ce public, un peu clairsemé, et beaucoup moins illustre que celui de 1829, mais si plein de déférence ! Il a écouté avec respect, avec vénération, cette tragédie ennuyeuse comme de la pluie, mais comme de belle pluie. Il l’a écoutée jusqu’au bout. Ainsi il a voulu rendre hommage à un grand nom et témoigner de son culte pour une mémoire qui n’a jamais eu plus de prestige qu’aujourd’hui. La journée a été excellente pour Chateaubriand. Elle a été détestable pour Moïse. Maintenant que la pièce a été représentée, il n’y a plus aucune raison de la jouer.

Elle n’est ni bonne ni mauvaise. Elle n’est pas. Spécimen d’un genre mort, échantillon d’une espèce disparue, elle est née morte. Brunetière avait très bien vu que tout le génie d’un homme ne peut rien pour galvaniser un genre arrivé à ce moment de son évolution où il n’est plus viable. La tragédie classique, au début du XIXe siècle, est un anachronisme. Et Moïse est une tragédie classique, comme Athalie dont il est une pâle copie, ah ! si pâle ! Que nous font les amours de Nadab et d’Arzane au pied du Sinaï ? Que nous veulent Dathan, Caleb et Nébée ? Il paraît que Nadab est fils d’Aaron et que, pour plaire à la