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laisser à de plus fins que moi l’honneur de déchiffrer cette énigme. J’ai cru jusqu’ici et je continue à croire qu’entre la résurrection de Lazare et la conversion de la Madeleine, il n’y a pas de lien. Ce n’est pas parce que Jésus a vaincu la mort que Madeleine est allée à Jésus. Le Sauveur l’a sauvée d’elle-même : c’est pourquoi elle l’a suivi. Elle était tout amour : c’est en elle que devait se faire la conversion de l’amour charnel à l’amour mystique.

Troisième acte : nous sommes dans la maison de Simon le lépreux, et, m’a-t-il semblé, dans le sous-sol. Les disciples de Jésus s’y sont réfugiés, en grand désarroi, poussés par le vent de la panique et par celui, plus troublant, du doute. Le maître s’est laissé arrêter, juger, condamner ; il n’a pu réussir à se sauver lui-même : que parle-t-il de sauver les autres ? Ainsi ils le renient, d’un commun accord, sans en excepter Lazare, plus pâle sous le suaire de la peur que sous celui de la mort. Un seul être lui est resté fidèle : Marie-Madeleine qui, pour la circonstance, s’est costumée en Marguerite de Faust, acte de la prison. Il faut que Lucius Verus fasse évader Jésus. Le galant officier y consentirait, non sans peine, à une condition toutefois : c’est que Marie-Madeleine lui appartienne. Jusqu’ici, il s’est contenté du flirt : maintenant, il aspire aux réalités. Il lui ouvre ses bras : qu’elle se jette sur son cœur et sur sa cuirasse ! Mais Marie-Madeleine est une sœur aînée de Marion Delorme, sujette comme elle à de soudaines et d’exquises pudeurs. Elle se refuse à Verus. Elle n’empêchera pas Jésus de sauver le monde. A quoi il a tenu, pourtant, que le monde ne fût pas sauvé !... Cette conclusion est pitoyable. Je m’étonne que M. Maeterlinck n’en ait pas senti l’inconvenance. C’est plus qu’une faute contre l’art : c’est une faute de goût.

Ce scénario tout à fait sommaire avait probablement pour objet principal de nous montrer Mme Georgette Leblanc dans un rôle fait sur mesure. Aussi ne s’y est-elle pas montrée au-dessus d’elle-même.


Enfin on a représenté Moïse ! On l’a représenté à l’Odéon : c’est encore Paris. L’histoire est connue de cette tragédie célèbre, qui doit à ses mésaventures toute sa célébrité. Chateaubriand l’avait écrite pour être jouée par Talma et non pour aucune autre cause. Talma étant mort, la pièce n’aurait pas dû lui survivre ; mais Chateaubriand s’était persuadé, entre temps, que c’était son chef-d’œuvre. La Comédie-Française se faisait tirer l’oreille. En attendant que la pièce fût représentée, l’obligeante Mme Récamier s’arrangea pour en donner une lecture à