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plus clairs ; c’est l’opposition de deux morales, l’antithèse de deux religions : celle du plaisir et celle de la souffrance.

Le second acte chez Marie-Madeleine. Lucius Verus, à qui elle a donné rendez-vous, est venu la voir, toujours revêtu de la cuirasse qui ne le quitte ni jour ni nuit. Il est très amoureux, et très ennuyé. On l’a chargé d’une basse besogne : arrêter Jésus. Cela lui répugne. Fondre sur l’ennemi, forcer les villes, charger à la tête de son régiment, tant qu’on voudra ; mais disperser les congrégations, c’est l’affaire de la police, non de l’armée. Arrivent Appius et Silanus. Haletans, le cœur serré par l’émotion, ils racontent ce qu’ils ont vu. Ils ont vu, de leurs yeux vu, Lazare, qui était mort depuis quatre jours, se lever de son tombeau, à l’appel de Jésus, et marcher. C’est le prodige le plus extraordinaire oui ait été accompli depuis que le monde est monde et qu’il est sous l’empire de la mort. Jésus a réussi où sages et devins avaient échoué : il a vaincu la mort... Verus accueille ce récit avec quelque scepticisme. Mais Marie-Madeleine écoute en extase et boit, de tout son être angoissé, les paroles merveilleuses... Voici mieux. Et nous aussi, nous allons voir — hélas ! Car la maison a été envahie par la bande des loqueteux ; et, au premier rang, marche un cadavre décharné, livide, épouvantable. C’est Lazare le ressuscité. Il est hideux. La tête inclinée, l’épaule déjetée, la forme du cercueil déjà prise, il étend un bras, et d’une voix, qui est celle du sépulcre, il dit à la Madeleine : « Le Maître t’appelle. Viens. » Elle résiste ; elle se jette sur la poitrine de Verus et le supplie de la garder. Mais le mort vivant est là qui l’appelle. Et toujours se débattant, mais sans force contre la mystérieuse attirance, pareille à la Pythie qui écume et cède à l’approche de son dieu, elle va vers Celui qui lui a envoyé ce messager affreux et irrésistible. On songe au médium hurlant et convulsif sous les passes du magnétiseur. C’est la Salpêtrière à Béthanie.

Je ne connais pas de spectacle plus déplaisant. L’invention en appartient entièrement à M. Maeterlinck. Car il n’est fait dans l’Écriture aucune allusion à cette rencontre de la courtisane avec le ressuscité. L’auteur prend avec le texte sacré toute sorte de libertés. C’est, dit-on, le droit du poète. Admettons-le, — sous les plus expresses réserves. Reste à savoir ce que le poète a voulu donner à entendre et qui nécessitait l’emploi d’un si macabre artifice. Pourquoi a-t-il brouillé les faits, bouleversé la chronologie, confondu les épisodes traditionnels ? Pour quelle raison majeure a-t-il dérangé les morts et ouvert les tombes ? Quelle vérité si profonde exigeait une mise en scène si lugubre ? J’aime mieux dire que je n’y ai rien compris et