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toute théorique et qu’elles aboutissaient dans la pratique aux mêmes résultats. Horace s’inscrivait tour à tour aux deux écoles ; Épicure fut un ascète et Sénèque un jouisseur. Quelque solution qu’elle en donne, la philosophie antique ne connaît qu’un problème, celui du bonheur. Toute la morale païenne n’est qu’un « art d’être heureux. » Silanus est heureux et veut qu’on le soit autour de lui. Il invite ses amis et les amies de ses amis. La belle courtisane Marie de Magdala ayant annoncé sa visite, il a eu soin de prévenir Lucius Ver us qui en est amoureux. Ce Verus est officier dans l’armée romaine : cela se reconnaît à la cuirasse qu’il porte toujours, et même quand il va goûter en ville. La conversation prend le tour qu’elle a volontiers chez ceux qui tiennent beaucoup à la vie : on parle de la mort. Un invité s’est excusé pour ce motif qu’il vient de perdre son fils, et qu’il en est inconsolable. Silanus, à ce propos, lit une lettre que le même homme lui avait écrite jadis pour le consoler d’une perte semblable. C’est une de ces épîtres raisonnables et compassées dont Sénèque nous a laissé le modèle. Consolations admirables, remarque justement Silanus, qui n’ont jamais consolé personne. Pour que la douleur nous soit supportable, il faut que ce soit la douleur des autres...

Silanus a un voisin : Simon le lépreux. Leurs deux jardins se touchent. Pour un vieil homme qui cherchait le repos et ne voulait que cultiver en paix son jardin, c’est ne pas avoir de chance. Ce jardin de Simon le lépreux sert d’asile à une bande de gens sans aveu, qui infestent le pays, à la suite d’un certain Jésus de Nazareth, thaumaturge. Justement un grand brouhaha, venu d’à côté, annonce qu’ils font leur sabbat. On entend la voix de Jésus : « Bienheureux ceux qui souffrent, car ils seront consolés... Heureux les simples d’esprit, car le royaume des cieux leur appartient... Heureux ceux qui ont le cœur pur, » etc. Voyez l’Évangile. En entendant ces paroles si nouvelles, Marie de Magdala est frappée de stupeur et d’admiration. Elle se précipite vers le jardin où fleurit cette doctrine extraordinaire. Elle veut voir et savoir. La foule la salue d’un tonnerre de huées. Mais Jésus la prend sous sa protection : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! » Cette fin d’acte est bien en scène. Jésus ne paraît pas et ne paraîtra pas de toute la pièce. Heureuse précaution, dont je ne saurais trop complimenter M. Maeterlinck ! Tous les autres, de Caïphe à Pilate, peuvent avoir un rôle, parce qu’ils sont des hommes. Mais Jésus, qui est Dieu, quelle image nous en présenter au théâtre, qui ne soit une trahison ? Cette fois, le symbole est des