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et pour règle de substituer sa volonté à la leur. C’est toute la médication. Or on sait la tyrannie du pli professionnel. Richard, le volontaire, ne manque pas à sa définition. La psychologie de M. Guiches n’est pas en défaut.

J’en dirai autant des scènes du troisième acte consacrées à nous montrer l’effet produit dans le ménage de Philippe par l’intervention irraisonnée de Richard. Si quelqu’un est innocent de ce qui vient de se passer et n’en peut mais, c’est Laurence. C’est donc à elle que s’en prend d’abord son mari, et il lui fait une affreuse scène de jalousie. Il est injuste, il est absurde, il est révoltant. Disons plus simplement : c’est un malade, incomplètement guéri, chez qui les nerfs, un instant apaisés, reprennent le dessus. Laurence riposte qu’il ne l’a jamais aimée, qu’une seule image, celle de sa première femme, habite son cœur : quel supplice de tous les instans pour une femme, que cette rivalité avec celle qui n’est plus ! Laurence n’est ni moins injuste, ni moins absurde que son mari. C’est qu’à vivre avec des neurasthéniques on devient neurasthénique soi-même. Cela se gagne. Le système du docteur Richard est terriblement chanceux. Il a marié la santé avec la maladie : maintenant ils sont deux à « faire » de la neurasthénie. C’est un résultat que nous aurions prévu, nous qui ne sommes pas médecins. Et je ne prétends pas que le spectacle de cette double crise de nerfs soit agréable à voir ; je dis qu’il paraît être de bonne observation clinique.

Mais à partir de ce moment, la pièce dévie. Elle tombe dans le romanesque, dans le factice, dans l’agitation à vide. Richard s’est battu avec Didiaix ; il l’a blessé. Il revient : c’est pour recevoir de Philippe la bordée d’injures que vous devinez. Resté seul avec Laurence, û se lamente. « Voilà ma récompense pour lui avoir fait le sacrifice de mon amour. Car, je ne vous l’ai jamais dit, Laurence : je vous aimais. — Vous ne me l’avez jamais dit : c’est le tort que vous avez eu. — Quoi ? — Mais oui. — Trop tard ! — Il n’est jamais trop tard. Refaisons notre vie. Fuyons ensemble ! — Fuyons ! » Ah bien, non, docteur ! Il y a des folies pour tous les âges : vous avez passé l’âge de ces sortes de folies. À vrai dire, je ne sais pas exactement quel âge l’auteur donne à Richard ; mais je suis bien obligé de voir le personnage tel que l’incarne M. de Féraudy. Il aurait pu être pour Laurence un mari de tout repos, avec une nuance de protection paternelle ; mais filer avec elle aux rives où l’on file le parfait amour, cela ne convient pas à son genre de beauté. Tranchons le mot : il est ridicule dans ce rôle, et d’un ridicule qui confine à l’odieux.